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Pour une éthique sans dieu ni prêtre

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La Deuxième Guerre mondiale a diabolisé le mot «eugénique», au point que l’on se fait parfois traiter de nazi si on le prononce! Pourtant des Genevois se souviennent qu’Eugène Pittard, fondateur de l’Institut d’anthropologie de l’université de Genève et du Musée d’ethnographie, humaniste consensuel et représentant d’organisations internationales bienveillantes, a préfacé avec enthousiasme en 1929, en français et en espagnol, le Qu’est-ce que l’eugénique? du major Leonard Darwin, fils de Charles. Cette préface et la couverture l’annonçant ont été expurgées de certaines bibliothèques, mais pas assez pour qu’on en ignore le contenu. Pittard, comme tous les eugénistes depuis la fin du XIXe siècle (et le fiston Darwin dans le livre), s’y étonnait que l’on n’applique pas aux humains les méthodes qui «améliorent» les animaux et les plantes domestiques!

Faut-il retirer sa rue à Pittard, pour avoir joué au nazi en 1929? Certainement pas! C’était un brave homme, qui se souciait des générations futures, sans idée des dérives auxquelles ces propositions conduiraient l’Allemagne d’Hitler.

Dans un «Que sais-je?»1>Pierre-André Taguieff, L’eugénisme, Que sais-je? Paris, 2020. bien documenté, Pierre-André Taguieff retrace l’histoire de l’eugénisme depuis avant la création du mot par Francis Galton, cousin de Charles Darwin. Deux faits sont à retenir. Le premier, c’est qu’au départ la notion d’eugénisme couvre tout ce qui concerne la procréation humaine, dans le souci d’améliorer les conditions de vie des individus ou des populations. La limitation des naissances, leur prévention en cas de maladie héréditaire transmissible à l’enfant, de danger de mort pour la mère ou d’incapacité de celle-ci, en font partie. D’autre part, si l’origine du concept est britannique, sa pratique active a commencé aux Etats- Unis, avec les stérilisations massives de pauvres, alcooliques et «tarés» sous l’impulsion, entre autres, de Charles Davenport, directeur du «prestigieux laboratoire» de «génétique et eugénique» de Cold Spring Harbor, à New York. Davenport inspira des gens comme Wahlund, dans la petite Suède sociale-démocrate – qui stérilisa autant de personnes que les Etats-Unis! –, et surtout Eugen Fischer (prénom prédestiné), qu’il conseilla pour fonder l’institut d’eugénique nazi. Lequel fit mettre en œuvre les stérilisations forcées, puis les crimes dans des chambres à gaz – préconisées dès 1935 par Alexis Carrel2>Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu, Plon, Paris, 1935/1962., Prix Nobel français travaillant alors aux Etats-Unis.

Autrefois, des religions opérant dans des populations séparées y organisaient morale et éthique, au nom de paroles divines traduites par des prophètes et prêtres aux préjugés variés. Quand, sous les projecteurs des Lumières et les coups de la Révolution française, on découvrit que ni dieux ni prêtres n’étaient indispensables, il fallut en urgence décrire des droits et devoirs humains fondant une nouvelle morale. On voulait celle-ci universelle. Mais elle continue, chaque jour depuis, à affronter des ukases religieux arbitraires et des philosophies totalitaires qui n’ont que faire de droits de la ­personne.

Dans une fin qui laisse un peu sur sa faim, Taguieff s’intéresse aux débats actuels sur la bioéthique et le transhumanisme. Il oppose les projets collectifs «améliorant» les populations, par exemple en éliminant des pathologies par vaccination ou abstention de procréation, aux projets individuels «libéraux» consistant à donner des possibilités de choix aux individus, tel le diagnostic préimplantatoire, pour éviter la naissance d’individus gravement handicapés. Mais ce dernier permettrait aussi, dans les rêves de certains, de choisir des caractéristiques de l’enfant «à la carte», en fonction de caprices parentaux ou sociétaux. On qualifie aujourd’hui les règles conditionnant la procréation de «bioéthiques», pour éviter d’évoquer l’eugénique, à jamais discréditée par ses applications monstrueuses du passé.

Entre fascistes religieux et utopistes transhumanistes, ces principes devront baliser un sentier de la raison, à coup sûr étroit et périlleux !

Notes[+]

Dédé-la-science, chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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