Suisse

Transaction gênante

Le juge fédéral Yves Donzallaz a payé un particulier pour qu’il retire son action en justice contre lui.
Transaction gênante
Les procédés d'Yves Donazallaz dans une affaire judiciaire ancienne soulèvent des interrogations, notamment éthiques. KEYSTONE
Élection

Le mercredi qui vient s’annonce tendu à Berne. Le Parlement fédéral (ré)élira les juges du Tribunal fédéral. Ce scrutin sera marqué par le conflit entre l’UDC et son juge Yves Donzallaz. Le parti conservateur ne veut pas reconduire le Valaisan, qui s’est écarté de la ligne dans certains verdicts, comme récemment sur l’UBS. Les autres partis politiques dénoncent une attaque à l’encontre de la séparation des pouvoirs, et les socialistes ont proposé de repousser l’élection.

Cette controverse politique n’est cependant pas la seule raison qui attire l’attention sur le magistrat valaisan. Ses procédés dans une affaire judiciaire ancienne soulèvent des interrogations, notamment éthiques. En 2008, alors avocat, Yves Donzallaz a versé la somme de 30 000 francs à un particulier après avoir signé une convention. En contrepartie, le bénéficiaire du paiement a retiré une action en justice visant l’avocat, rapportent des documents judiciaires et bancaires que nous avons obtenus.

Preuves détruites

Le citoyen en question avait en effet formé un appel contre un jugement du tribunal de première instance. Dans ce jugement, Yves Donzallaz avait été acquitté de l’accusation d’entrave à l’action pénale. La convention prévoit aussi que, de l’autre côté, l’avocat Donzallaz renonce à une plainte pénale pour atteinte à l’honneur, déposée contre l’avocat de la partie adverse.

Quelques semaines plus tard, en mars 2008, Yves Donzallaz se fait élire juge au Tribunal fédéral. Son casier judiciaire est – à ce moment-là et jusqu’à aujourd’hui – «parfaitement» vierge, nous écrit-il. Pourquoi lui reprochait-on l’entrave à l’action pénale (article 305 du Code pénal)? Pour avoir détruit des preuves matérielles dans une affaire de pédophilie qui a touché le Valais au début du siècle, destruction qu’il reconnaît dans un rapport d’audition de police que nous avons consulté. Dans ce lourd dossier, Yves Donzallaz défend alors les victimes présumées. La justice finira par déclarer un non-lieu.

A lire la presse de l’époque, les parents de la victime présumée, un garçon de quatre ans, s’étaient basés sur le récit de leur fils pour dénoncer le suspect. Ils ont ensuite fortement critiqué la justice cantonale et certaines erreurs commises. En face, le suspect n’a cessé de clamer son innocence. Il parlera d’un calvaire vécu par sa famille.

Sortis clandestinement

Qu’a fait Yves Donzallaz? Dans une lettre datée de 2004, le procureur résume: «Des documents relevant du secret professionnel ou du secret de fonction sont sortis clandestinement de l’hôpital de Sion pour être remis» à la partie qui dénonce (nous préservons son anonymat, ndlr) «en vue de favoriser son action pénale. Ces documents sont parvenus à Me Donzallaz qui, après en avoir relevé le contenu pour en faire usage, les a détruits. Il a agi ainsi parce qu’il ne se justifiait pas, à ses yeux, que l’auteur de la fuite soit inquiété.»

Le premier appel sera retiré après signature d’une convention et versement de 30 000 francs.

Le procureur poursuit: «Agissant de la sorte, Donzallaz a intentionnellement retardé l’ouverture de l’enquête et empêché l’exploitation scientifique des documents détruits.» L’identification de l’auteur, donc sa culpabilité ou son innocence, ne peut être établie par la justice. Le procureur conclut que le délit de l’article 305 du Code pénal semble avoir été commis.

Important: au final, les documents de l’hôpital de Sion n’étayaient pas l’idée que le suspect, partie adverse d’Yves Donzallaz, était un pédophile. Une pièce judiciaire relève que les investigations qui ont suivi n’ont montré «aucun rapport avec de la maltraitance ou des abus sexuels».

Défendable éthiquement

En 2007, un premier jugement de tribunal acquitte Yves Donzallaz. Deux appels sont formés. Le premier sera retiré après signature d’une convention et versement de 30 000 francs par l’avocat Donzallaz. Le second, provenant du Ministère public, sera également retiré. Peu de temps après, le candidat Donzallaz est élu juge au Tribunal fédéral par le parlement.

Verser une indemnité pour se prémunir d’une action en justice est-il défendable éthiquement pour un futur juge fédéral? Le principal intéressé n’y voit pas d’inconvénient. Il souligne qu’il n’a pas été sanctionné par l’autorité disciplinaire de sa profession, et que le Ministère public aurait très bien pu maintenir l’action en justice contre lui, ce qu’il n’a pas fait (lire ci-après).

Reste que la méthode soulève d’indéniables questions. La décision du parlement ce mercredi n’en sera que plus attendue.

(legende)Les procédés d’Yves Donazallaz dans une affaire judiciaire ancienne soulèvent des interrogations, notamment éthiques. Keystone

Il n’a pas été sanctionné

Le juge fédéral Yves Donzallaz se défend, rappelant qu’il a été acquitté et que la transaction est un «mode courant de liquidation des conflits».

Yves Donzallaz fait valoir qu’il n’a pas été sanctionné disciplinairement ou pénalement. S’agissant de l’aspect éthique du versement d’une indemnité de 30 000 francs, le juge fédéral écrit dans sa réponse à La Liberté que «la transaction constitue un mode tout à fait courant de liquidation des conflits. Celle qui a été conclue n’échappe pas à cette règle. Les avocats ont l’habitude de dire que mieux vaut un mauvais accord qu’un bon procès et l’adage a assurément fait ses preuves».

Le juge rappelle que «la dignité de la profession est assurée, en matière de barreau, par une autorité disciplinaire. Celle-ci est indépendante des instances pénales et n’est pas liée par le sort d’une procédure, qu’il soit non-lieu, acquittement ou condamnation. Elle peut condamner même en l’absence de sanction pénale.» Plus loin, il relève que, «même si j’ai continué à exercer ma profession pendant plus de six mois après l’accord conclu, l’autorité disciplinaire n’a formulé aucun reproche à mon encontre et je n’ai pas reçu la moindre des sanctions, pas même un avertissement».

Yves Donzallaz met en exergue le climat de l’affaire de pédophilie. «Très émotionnelle, celle-ci a conduit à une escalade de plaintes, contre-plaintes etc., sur le plan pénal et disciplinaire, également entre les avocats concernés.» S’agissant du délit d’entrave à la justice, «le tribunal a prononcé mon acquittement. Ce résultat n’a absolument pas constitué une surprise. Après l’acquittement prononcé en première instance, suite à une procédure très largement chicanière, j’ai décidé de contacter mon confrère. Son recours contre ce jugement allait à nouveau entraîner des procédures chronophages et dispendieuses. J’ai donc proposé d’y mettre un terme pour pouvoir me consacrer exclusivement à mon activité, la défense des intérêts des justiciables.»

Il insiste sur le rôle du Ministère public. «Je tiens à souligner qu’un tel accord privé, destiné à mettre un terme à la situation conflictuelle qui m’opposait à mon confrère, ne liait aucunement le Ministère public. Si celui-ci n’avait pas été convaincu par l’acquittement prononcé à mon égard, il aurait eu l’obligation légale de recourir, respectivement de poursuivre la procédure. Il a au contraire pris connaissance de cet accord, s’y est rallié et l’affaire pénale en est restée là.»

Suisse Philippe Boeglin Élection

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