Chroniques

La chaîne de commandement

AU PIED DU MUR

J’ai déjà décrit dans le cadre de cette chronique les manifestations hebdomadaires devant la résidence officielle de Benjamin Netanyahou, rue Balfour, à Jérusalem. Dix mille à 15’000 personnes se réunissent tous les samedis soir depuis plus de deux mois dans ce qui ressemble davantage à un grand rassemblement festif qu’à une manifestation. Pas de direction, pas de slogans décidés à l’avance, beaucoup de musique, voire un certain exhibitionnisme – on vient aussi pour épater les copains et séduire les journalistes. Le tout dans une ambiance bon enfant, très bruyante, sous le regard amusé des policiers.

Cela était vrai il y a encore deux semaines. Tout a soudain changé: interdiction de faire usage d’objets bruyants au-delà d’une certaine heure, provocations policières, arrestations – entre autre de l’ancien patron du Shin Beit [service de sécurité intérieure] Carmi Guilon –, manifestants tabassés. Que s’est-il passé? Je partage l’hypothèse suivante avec plusieurs amis journalistes. Tout le monde connaît le caractère colérique (euphémisme politiquement correct) de la femme du premier ministre, Sara, et son horreur du bruit. C’est elle qui aurait suggéré que la famille Netanyahou passe ses week-ends «au vert», dans sa luxueuse résidence privée de Césarée (dont l’entretien est payé par nos impôts). C’était compter sans l’esprit civique des Césaréens, qui n’est pas moindre que celui des Hiérosolymitains: leurs manifestations sont tout aussi bruyantes que celles de la rue Balfour.

Retour à Jérusalem. Il est impératif de faire cesser le bruit, ou au moins le réduire, et de dissuader la venue d’un maximum de manifestants. Répartition familiale des tâches: la communication pour le père («tous des anarchistes qui répandent des maladies»), la répression pour le voyou de fils, Yair. Très proche du ministre de la Sécurité intérieure, Amir Ohana, Netanyahou junior lui fait comprendre que non seulement les manifestations dérangent maman et propagent le Coronavirus, mais qu’elles constituent une atteinte grave à la démocratie, puisque son père a été démocratiquement élu. Ohana, homme d’extrême droite qui a fait sa place dans l’entourage proche de la famille Netanyahou en dirigeant le chœur vociférant qui crache depuis des années sur le système judiciaire et en dénonçant le laxisme de la police dont il est aujourd’hui le ministre, a donc donné des consignes de ­fermeté.

Des consignes prises à la lettre par le commissaire Nisso Gueta – filmé en train de tabasser un homme d’un certain âge alors que ce dernier s’éloignait calmement du site de la manifestation. Gueta sait que son avancement dépend de sa loyauté envers son ministre… dont l’avenir politique dépend de la loyauté inconditionnelle envers le clan ­Netanyahou.

Pouvoir se tournant chaque jour davantage vers le totalitarisme, le régime Netanyahou ressemble de plus en plus à celui de ses amis Orban et Bolsonaro. Mais il a contre lui trois inculpations pour corruption aggravée. Il s’agit d’une course contre la montre: ou la justice suit son cours ou Netanyahou impose un changement constitutionnel qui lui garantisse l’immunité. Beaucoup parient sur une troisième solution: une grâce présidentielle en échange de sa démission. C’est compter sans dame Sara ni le (plus tant) jeune voyou qui, pour rien au monde, ne sont prêts à quitter la rue Balfour. Malgré le bruit des dizaines de milliers de manifestants sous leurs fenêtres.

Notre chroniqueur est militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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