On nous écrit

Dépoussiérer l’histoire

José Sanchez réagit à une page «Contrechamp».
Mémoire

Une place et une statue sont des signes de reconnaissance publique, honorant un personnage pour la grandeur de ses actes. Dans ce sens, débaptiser la place De Pury et retirer sa statue seraient les premiers éléments d’une mémoire répa- ratrice. Dans un article du 6 août 2020, M. Mutombo s’oppose au déboulonnage, car il ne veut pas «braquer ni frustrer inutilement une partie de la population». Plutôt que déboulonner, il propose «l’érection d’un monument bis… aux di- mensions identiques de l’autre en ren- dant enfin hommage aux esclaves noirs».

Placer ainsi les victimes du trafic d’es- claves sur le même pied que le marchand est une curieuse manière de revisiter l’histoire! M. Mutombo y voit un avan- tage car cela «reconnaît et relie les points de vue opposés…. l’hommage est complé-

té de manière équitable». En cherchant ainsi le consensus, les propositions mettent sur le même plan des réalités totalement différentes. Le sieur De Pury ne faisait pas du commerce par philoso- phie ou même pour la ville de Neuchâtel, mais pour s’enrichir et accroître son pou- voir de marchand et de noble. Son activi- té économique est-elle acceptable? Non! Par conséquent ce personnage n’a pas à bénéficier d’une statue et d’une place. Car il ne s’agit pas seulement de rendre un hommage aux esclaves noirs. Il s’agit aussi de condamner sans l’ombre d’un doute ces pratiques marchandes.

«L’oubli» et l’absence de mémoire pu- blique sur le trafic d’esclaves ont en par- tie été couverts par l’hommage public au sieur De Pury. La principale place au cœur de Neuchâtel n’est pas un signe mineur! Le faire disparaître de l’espace public ne signifie aucunement cacher son histoire. Au contraire, cela serait le premier pas vers une connaissance dé- taillée de cette période et de ces mar- chands.

L’histoire n’est pas simplement l’ali- gnement et la pondération de points de vue différents. Il y a la recherche des faits, de tous les faits, et leur mise en perspective historique. Mais la création d’une commission d’étude ne devrait pas être la seule issue. Une place «De la liberté» pourrait rapidement être inau- gurée, geste politique d’autant plus fa- cile pour une commune gérée par une large coalition à gauche.

L’incohérence de la proposition de M. Mutombo saute aux yeux, si au lieu de parler de l’esclavagisme, on parlait du nazisme, de ses personnages et de ses symboles. Qui défendrait sérieuse-

ment la préservation dans l’espace pu- blic de leurs noms et de leurs symboles? Qui oserait proposer la représentation «équitable» des bourreaux nazis et de leurs victimes, à Auschwitz ou ailleurs? Les nostalgiques de l’empire de 1000 ans sont certainement très frustrés et braqués en Allemagne par les lois qui interdisent les actes et les expressions défendant le nazisme. Tant mieux! Et l’histoire écrite par les nazis n’est pas l’histoire du nazisme.

Alors, si des nostalgiques de l’aristo- cratie neuchâteloise sont maintenant offusqués, cela est réjouissant. Beau- coup de personnes se sont longtemps accommodées du silence sur les activi- tés odieuses du sieur De Pury.

Et s’il est grand temps de dépoussié- rer l’histoire, ce n’est pas seulement pour rendre hommage aux victimes et dénoncer clairement les bourreaux. L’actualité nous apprend que sur tous les continents, des enfants, des femmes et des hommes continuent d’être exploi- tés dans des conditions qui rappellent sinistrement celles de l’esclavage. La condamnation du sieur De Pury doit aussi servir à dénoncer et à faire dispa- raître ces situations barbares. Avec ou sans consensus.

JOSÉ SANCHEZ, La Chaux-de-Fonds

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