Chroniques

Comment se débarrasser des chefs d’Etat qui s’incrustent?

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Soixante ans après leurs indépendances, trente ans après la fin des partis uniques, les pays africains continuent à être otages de leurs dirigeants qui s’accrochent au pouvoir, refusent de le quitter, utilisant tous les moyens à leur disposition pour s’y maintenir. A tel point qu’au vu et au su de ce qu’il est convenu d’appeler la «communauté internationale», voire avec sa bénédiction, un nombre croissant de pays se retrouvent avec d’inamovibles présidents à vie, dont les fils, parfois, succèdent aux pères, comme c’est le cas au Gabon et au Togo.

Symbole de cette dérive: le 11 août dernier, qui marquait le soixantième anniversaire de l’accession du Tchad à l’indépendance, son président, Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis trente ans, était élevé au rang de maréchal, le plus haut grade de la hiérarchie militaire, par une Assemblée nationale aux ordres, assis sur un «trône» pourpre et or. La cérémonie n’était pas sans rappeler le sacre de l’empereur Bokassa en Centrafrique, pays voisin du Tchad, dans les années 1970.

Le coup d’Etat perpétré au Mali le 18 août dernier a provoqué un électrochoc en Afrique de l’Ouest, alors que plusieurs pays de la région s’apprêtent à organiser des élections – qui sont toujours des périodes de grande tension – d’ici à fin 2020. C’est le cas du Burkina Faso, du Ghana, du Niger, mais aussi de la Côte d’Ivoire et de la Guinée, dont les présidents, Alassane Ouattara et Alpha Condé, briguent un troisième mandat, après ce qu’il est convenu d’appeler un «tripatouillage» des Constitutions de leurs pays respectifs qui, en principe, l’interdisent.

Ces deux présidents en exercice rejoignent ainsi la longue liste des présidents africains qui ont modifié Constitutions et lois électorales, afin de pouvoir briguer indéfiniment, ou presque, la magistrature suprême. Un retour en fanfare aux mandats illimités, aux présidents à vie. Une tendance bien contemporaine, qui ne prospère d’ailleurs pas que sur le continent africain.

Au Mali, cela faisait plusieurs semaines que des milliers de personnes manifestaient dans les rues pour réclamer le départ du président, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Son arrestation et sa destitution par un groupe de militaires ont été saluées par une bonne partie de la population, mais aussitôt condamnées par l’ensemble de la communauté internationale, déplorant cet ixième coup d’Etat sur un continent africain qui en compte plus de 200 depuis les indépendances, davantage que partout ailleurs dans le monde. Que reprochait-on à l’ex-président malien? Une réélection entachée de fraudes, une incapacité totale à gérer les innombrables problèmes du pays, une corruption généralisée au sommet de l’Etat. Des maux qu’on pourrait également reprocher à la plupart des chefs d’Etat qui composent la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et l’Union africaine, en pointe pour condamner la junte militaire et exiger le retour d’IBK.

«L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions.» Ces mots prononcés par l’ex-président américain Barack Obama lors d’une tournée au Ghana en juillet 2009 sont souvent cités sur le continent pour tenter de limiter les ardeurs des présidents qui s’éternisent au pouvoir en recourant à toutes sortes de subterfuges. Mais en l’absence d’institutions et de contre-pouvoirs suffisamment forts, quelle est la meilleure solution pour imposer une alternance à la tête des Etats? L’Afrique est-elle condamnée aux coups d’Etat, aux «tripatouillages» de Constitutions? Faudrait-il, comme le proposent certains, assurer une impunité totale aux présidents sortants, pour les convaincre de partir sans craintes, même s’ils se sont rendus coupables de violations des droits humains et de crimes économiques? La question demeure ouverte.

Notre chroniqueuse est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

Chronique liée

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

lundi 8 janvier 2018

Connexion