Chroniques

Multinationales responsables

A rebrousse-poil

Indignation, envie de vomir, lorsque j’ai découvert certaine affiche.

Je reviens en arrière.

C’était à la fin mars. Confiné comme tout le monde, je m’efforçais de marcher une heure chaque jour. Silence de mort, pas une voiture dans les rues désertes, et presque aucun humain. Quel bonheur d’en croiser un ici ou là, connu ou inconnu, de se dire bonjour de loin, de prendre des nouvelles, et surtout, surtout de se sourire! La solitude et l’ennui, soudain, devenaient moins pesants.

Avec ses 4000 habitants, Sainte-Croix n’est pas une bien grosse agglomération. Toujours est-il que ces promenades quotidiennes, dont je variais les itinéraires, m’ont amené à passer par des quartiers où je n’avais pas remis les pieds depuis des années. Et d’y découvrir, à mon grand bonheur, nombre de banderoles ou de drapeaux orange portant l’inscription: «Initiative multinationales responsables, oui!»1>https://initiative-multinationales.ch/

Attachés à une barrière, accrochés sous une fenêtre, ces témoignages de solidarité m’ont rendu tout à coup telle maison sympathique, ou m’ont permis d’échanger deux mots avec une personne que j’aurais peut-être croisée sans lui adresser un regard:
– J’ai la même devant chez moi!
– Il faut se serrer les coudes!

C’est que la bataille promet d’être rude.

Cette initiative sera soumise au peuple le 29 novembre prochain. Ce qu’elle demande, en quelques mots: les entreprises ayant leur siège en Suisse doivent veiller à ce que leurs activités respectent les droits humains et les normes environnementales où que ce soit sur la planète. Les personnes lésées à l’étranger par ces sociétés ou leurs filiales doivent pouvoir demander réparation en Suisse. Quoi de plus normal, quoi de plus moral? D’ailleurs l’électorat ne s’y trompe pas, puisque les sondages donnent actuellement l’initiative gagnante à plus de 70%.

Voilà qui ne plaît pas à la plupart de nos grandes multinationales, qui ont décrété la mobilisation générale contre cette insupportable atteinte à la liberté d’entreprendre! Quoi, on leur demanderait des comptes parce qu’elles exploitent au loin des ouvriers de façon éhontée, parce qu’elles empoisonnent les sols dans des régions fragiles, parce que leurs fournisseurs ont recours au travail des enfants?

L’ampleur des moyens financiers qu’elles s’apprêtent à consacrer à leur campagne contre cette initiative en dit long sur la peur qu’elles ont de la voir aboutir. Ont-elles donc tant à perdre? Cesser de saigner là-bas humains et environnement aurait-il donc des conséquences intolérables, ici, sur le train de vie de leurs gros actionnaires?

Certaines personnalités n’hésitent pas à mettre tout leur poids dans la balance, pour que se perpétuent des pratiques honteuses. C’est le cas d’une conseillère nationale des Vert’libéraux que l’on peut voir sur l’affiche évoquée en début de chronique. Souriante dans le rôle de la bienfaitrice, elle pose au milieu de jeunes femmes noires. On peut lire à côté: «Nos multinationales sont responsables et génèrent des millions d’emplois en Afrique qui font vivre autant de familles. Combien d’emplois ont créés les ONGs?»

Indignation, envie de vomir, je vous dis…

Parce que…

Les ONGs ont-elles pour vocation de créer des emplois? Les opposer aux multinationales n’a rien à voir avec le sujet de l’initiative, et mettre en cause ces organisations est une insulte aux bénévoles, aux donateurs, à tous ceux qui se mobilisent pour aider, soigner, sauver des vies.

Quels genres d’emplois créent là-bas les multinationales? Quels salaires paient-elles?

Avec d’autres collègues de droite, cette brillante parlementaire a voté contre l’initiative «Pour des soins infirmiers forts» le 17 décembre dernier. Et elle ose encore prendre la parole?

Je me suis toujours demandé ce qui primerait, le vert ou le libéral, au cas où les Vert’libéraux se trouveraient dans l’obligation de choisir entre ces deux notions contradictoires. La réponse est ici: le libéralisme l’emporte, et l’écologie passe aux oubliettes. Le masque est tombé.

Notes[+]

www.michelbuhler.com

Dernier livre: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018, chez Bernard Campiche Editeur, 2019.

Opinions Chroniques Michel Bühler

Chronique liée

A rebrousse-poil

lundi 8 janvier 2018

Connexion