Chroniques

Bonnes vacances

REMERCIEMENTS
L'Impoligraphe

Bon, on est en vacance. Ou en vacanceS, je ne sais jamais s’il faut mettre ce mot au singulier ou au pluriel. Disons au pluriel, puisqu’on est nombreux à y être, en vacances. Du coup, on peut se passer de commenter l’actu: on ne vous parlera pas de Maudet (il fait ça très bien tout seul, d’ailleurs, notre François Fillon à nous), ni du Covid, ni des pistes cyclables et de la manifalulu motarde et cyclophobe. On est en vacances, on vous parlera des vacances. Mais c’est quoi, les vacances? Je me disais que ça devait avoir la même racine que «vacant», «vacuité», j’ai vérifié dans mon Petit Robert, et c’est bien ça: en français, la vacance, c’est le vide, et c’est un substantif féminin dont la première occurrence repérée est de 1531. Ce qui ne nous rajeunit pas – mais on n’a pas besoin d’être rajeunis, puisqu’on est en vacances. Bon, donc, «vacance», ça veut dire «manque». Quand on est en vacance, on est en manque. Et en vacanceS, en manqueS. Mais en manque de quoi? Edgar Morin répond: «La valeur des vacances, c’est la vacance des valeurs.» C’est bien une réponse d’intello de gauche, ça… Le genre de type qui en vacances se promène entre les statues exposées dans les parcs des Eaux-Vives et de la Grange et se marre au pied de celle qui illustre le coup de boule de Zidane à Materazzi. Et qui un de ses jours va aller se godardiser à Nyon. Nous, quoi…

On est en vacances. Et en vacances, on se regarde le nombril. C’est pas qu’on se prive de le contempler quand on est pas en vacances, c’est qu’en vacances, on n’a que ça à foutre, se regarder le nombril. En vacances, on est kantiens, on se pose la question «Qui sommes nous?» pas la question «Que pouvons-nous faire de nous-mêmes?», ce qui serait pourtant la seule bonne question à se poser puisque là, on a le temps de se la poser, et même d’y donner une réponse. Une réponse à soi. Personnelle. Seulement voilà, on ne nous accorde pas des vacances pour qu’on se pose des questions existentielles auxquelles on pourrait donner librement des réponses personnelles. On est en vacances pour pouvoir en sortir frais comme des perches biélorusses tout justes décongelées pour être vendues comme des perches du Léman.

Alors, soyons sérieux cinq minutes: le capitalisme, qui s’est avancé sous la bannière libérale de l’individualisme, a constitué un individu sans individualité. A ceux qui pleurent ou font mine de pleurer sur la montée de l’individualisme, sur la dissolution individualiste des liens communautaires d’abord, sociaux ensuite, nous pouvons répondre, rassurants: «Ne pleurez plus, ce que vous craignez n’est qu’un fantôme…» Jamais troupeau ne fut plus moutonnier que celui des populations de nos sociétés. Nos sociétés sont individualistes comme le camembert industriel est «fermier», «rustique» et «moulé à la louche». Les foules sur les plages, dans les bateaux de croisière, dans les avions à bas tarifs, en témoignent, quand un virus ne vide pas les plages, ne contraint pas les bateaux à rester au port et les avions sur les tarmacs. Mais les virus passent, et les foules reviennent là où le temps panurgéen des vacances les conduit.

Et même en vacances, on se débrouille encore pour rester connectés à ce qu’il nous faudrait abandonner. Il n’y a plus guère qu’à nous-mêmes que nous ne sommes pas connectés, et si nous fuyons le silence là où nous pourrions le trouver, c’est qu’on nous a appris à en avoir peur, alors que ce silence que nous fuyons n’est que l’absence de tous ces bruits parasites dont nous avons fait notre accompagnement indispensable. Un chant d’oiseau, le murmure d’une rivière, le souffle du vent, ne brisent pas le silence mais le font vivre… Serons-nous capables d’imposer, ne serait-ce qu’une fois, une seule, le silence des médias, la panne générale des téléphones cellulaires, la déconnexion de tous les ordinateurs, du moulin à fausses paroles qui tournent sur elles-mêmes sans plus rien transmettre que leur bruit et en sature le monde social pour empêcher les sociétaires (qui après tout ne demandent peut-être que cela…) de trop réfléchir à eux-mêmes et à leur place dans ce monde? Ce serait là, aujourd’hui, ce que put être (ou qu’on rêvait que soit) naguère la grève générale: l’arme ultime de destruction massive des chaînes sociales…

Lorsque nous aurons rétabli le droit au silence et à son éloquence, nous aurons rétabli le droit de nous taire ensemble, comme ces amants qui se regardant en silence se nourrissent l’un et l’une de l’autre, parce que le visage de l’une et de l’un est une parole silencieuse adressée à l’autre.
Bonnes vacances de tous les pouvoirs qui sur vous pèsent…

Notre chroniqueur est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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