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Un fongicide chimique dans nos eaux souterraines

À votre santé!

En cette période de déconfinement progressif dans le cadre de la pandémie due au Sars-Cov-2, il serait temps de réfléchir à nos priorités sociales, écologiques, sanitaires et économiques. Si un enseignement peut être tiré de cette crise, c’est que dans notre monde globalisé axé sur la rentabilité immédiate et la production en masse, nous avons trop oublié notre fragilité biologique et notre appartenance à une planète que l’on ne peut exploiter et maîtriser à notre guise sans que cela nous joue de mauvais tours. Il y a peut-être là une leçon d’humilité à prendre.

Dans ce sens, il est important de réfléchir à consommer plus local et à défendre des circuits courts de consommation. D’ailleurs, dans ma région du moins, beaucoup s’y sont mis pendant le confinement, au grand bonheur des agriculteurs et maraîchers. Mais il devrait être tout aussi essentiel de s’assurer que la production – et notre consommation – ne nuise pas à notre santé, ni à l’état de notre environnement.

Dans la première quinzaine de mai, encore confinés, nous apprenions par la presse que les eaux de Bourg-en-Lavaux, commune au centre de ce magnifique lieu inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, contenaient six fois plus de chlorothalonil que les normes autorisées. Ce fongicide chimique commercialisé par Syngenta, utilisé de manière régulière dans la viticulture et l’agriculture depuis les années 1970, a été interdit en Suisse depuis le 1er janvier 2020. Le fabricant a fait opposition à cette interdiction, mais n’a pas obtenu d’effet suspensif. Ce pesticide a été classé par l’Organisation mondiale de la santé comme potentiellement cancérigène pour l’homme, mais présente aussi un risque élevé pour les amphibiens et les poissons, donc pour la biodiversité. L’Office fédéral de l’environnement nous a annoncé le 12 mai dans un communiqué qu’il avait procédé à une première estimation de la pollution des eaux souterraines à l’échelle nationale. Il en ressort que plusieurs métabolites du chlorothalonil dépassent la concentration admise dans de vastes parties du Plateau, mais aussi dans la plaine du Rhône, et sont ainsi «à l’origine d’une pollution considérable». On peut d’ailleurs se demander pourquoi ces analyses n’arrivent que maintenant.

Dans ma commune dotée d’un grand domaine viticole, la municipalité m’a communiqué avoir mandaté un laboratoire pour analyser les eaux (aussi seulement maintenant!), mais ne pas avoir de résultats disponibles. En attendant, en se promenant à pied dans le Chablais ces jours derniers, on voit de nombreux travailleurs agricoles équipés comme des cosmonautes pour traiter les vignes. Quand on s’approche, on comprend qu’ils utilisent par exemple le Pergano, un autre fongicide commercialisé par… Syngenta. La fiche technique du produit indique qu’il est «nocif par inhalation, susceptible de provoquer le cancer, très toxique pour les organismes aquatiques». Cela me rappelle le témoignage d’un proche qui, l’an passé, a maraudé une grappe de raisin et l’a mangée goulument sur place: dans les trois minutes qui ont suivi, il a été pris d’une crise de toux avec dyspnée ayant nécessité des mesures médicales urgentes pour la calmer.

De fait, de nombreux pesticides suscitent la polémique depuis quelques années: néonicotinoïdes tueurs d’abeilles, chlorpyriphos toxique pour le système nerveux et perturbateur endocrinien, glyphosate probablement cancérigène… Nous avons affaire à un problème global: on a mis sur le marché un grand nombre de produits (environ 350 génériques), alors que l’on n’était visiblement pas en mesure d’évaluer correctement leur impact sur la santé et sur l’environnement.
Peut-être est-il temps de se tourner massivement vers une production biologique. Cela demanderait de modifier le plan d’études des écoles d’agriculture et d’organiser un accompagnement de nos producteurs. On a vu que, devant l’urgence sanitaire, des mesures politiques drastiques ont pu être prises. Alors ne serait-ce pas là un bon programme de relance post-Covid-19? En tous les cas, notre santé en profiterait!

Bernard Borel est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

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lundi 8 janvier 2018

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