Agora

La crise sanitaire ne doit pas nous faire oublier l’urgence climatique

Un appel adressé aux autorités cantonales genevoises, signé par plus de 50 personnalités d’horizons variés, demande à ne pas sacrifier la préservation du climat et la biodiversité sur l’autel des réponses à court terme à la crise socio-économique générée par le Covid-19. L’appel propose différentes pistes vers une transition écologique et sociale. Il fait écho à une initiative similaire* auprès du Conseil d’Etat vaudois.
Covid et climat

Monsieur le Président du Conseil d’Etat, Mesdames et Messieurs les Conseillères et Conseillers d’Etat,

La crise sanitaire mondiale liée à l’apparition du Covid-19 a nécessité une réaction politique rapide, afin de répondre à une urgence évidente. Vous avez mis en place des dispositifs pour préserver, d’une part, les personnes les plus vulnérables face au virus et, d’autre part, la capacité du système de soins à répondre à cette crise ainsi que du monde du travail à faire face aux impacts.

La crise sanitaire engendre déjà une crise économique et sociale à laquelle il convient de trouver des réponses à court terme. Cela ne fait aucun doute. Toutefois, nous tenons à vous rappeler une impérieuse nécessité, dont vous êtes certainement conscients: éviter que les mesures déployées n’amplifient des problèmes plus graves et profonds encore, en lien avec la crise écologique et climatique également en cours.

N’oublions pas que cette attaque du nouveau coronavirus, comme la précédente de 2002, tire son origine de la destruction des habitats de certaines espèces et plus largement des atteintes à la biodiversité. Ces dégradations rendent plus probable et fréquente la transmission d’agents pathogènes des animaux aux êtres humains.

De plus, alors qu’une crise sanitaire est réversible, la crise écologique ne l’est et ne le sera pas. Pis encore, tout indique que les difficultés iront s’aggravant, et que les ruptures de la chaîne alimentaire que l’on redoute aujourd’hui seront de plus en plus probables.

Ainsi, pour éviter d’autres crises sanitaires comme celle que nous vivons actuellement, mais également toutes les autres crises symptomatiques d’un épuisement des ressources et d’une dégradation du système Terre, d’indispensables décisions sont à prendre. Certaines de ces décisions ne peuvent et doivent être prises que par les autorités politiques comme la vôtre.

La protection du climat ne nous demande pas seulement de tirer le frein à main, mais de changer radicalement la direction et les critères de notre système économique, social et humain. C’est pourquoi les futures décisions doivent inclure la protection du climat et de la biodiversité tout autant que la préservation du tissu social et économique de notre canton.

Diverses initiatives ont été lancées en parallèle, tels que l’appel du 4 mai ou le manifeste d’Après, le réseau genevois de l’économie sociale et solidaire. Elles demandent que les crises actuelles – tant sanitaire qu’écologiques – soient l’occasion d’une véritable transition, où tant les citoyen-ne-s que l’Etat puissent prendre leurs responsabilités.

Le Canton de Genève a été le premier canton suisse à adopter en 2001 une loi pour décliner le développement durable dans tous les secteurs de son administration cantonale. Le Conseil d’Etat a ensuite adopté en 2017 un concept cantonal du développement durable 2030 qui définit les axes stratégiques d’intervention prioritaires. Cela constitue une base solide de référence à compléter à l’aune de la situation actuelle.

Nous demandons à votre autorité de:

• Prévoir un plan de relance post Covid-19 reprenant, avec plus d’ambition encore, les accords de Paris, afin de promouvoir l’utilisation efficace des ressources, de façonner une économie circulaire et régénérative respectueuse des limites planétaires, de s’inspirer de la «théorie du donut» actuellement mise en œuvre à Amsterdam (le système Terre englobe la société, laquelle englobe l’économie) capable de restaurer la biodiversité et réduire la pollution. Un plan climat ambitieux, à l’aune du diagnostic et des recommandations du GIEC, devrait devenir une priorité absolue pour le Gouvernement genevois. Tout projet de loi ou d’investissement devrait être soumis à une analyse poussée de son impact écologique et climatique;

• Prendre en compte que la situation tant sanitaire que climatique nécessite des mesures extraordinaires, si nous souhaitons collectivement offrir des conditions d’existence dignes à nos descendants. Dès lors, l’orthodoxie financière ne doit pas se faire au détriment d’une action politique forte, résolue et courageuse. Il vaut mieux avoir des dettes financières qu’une dette écologique. Le Conseil d’Etat devrait prévoir d’exclure des mécanismes du frein à l’endettement – de manière transitoire – les dépenses directement en lien avec la préservation du climat;

• Différencier les aides économiques aux entreprises en fonction de leur taille et de leur impact climatique, et exiger de celles qui ont un impact significatif de mettre en place des plans de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de viser la neutralité climatique d’ici à 2035 au plus tard. Le Conseil d’Etat pourrait ainsi moduler son aide en fonction de critères tant sociaux et économiques qu’environnementaux;

• Développer, à plus long terme, un revenu de transition écologique et sociale (à partir de l’expérience initiée par la Fondation Zoein sur le territoire français), en utilisant par exemple le revenu d’insertion. De tels revenus ont pour but de financer les activités dont la rémunération par le marché est inférieure à leur utilité sociale et écologique réelle. Ces activités sont au premier rang l’agroécologie (sous-rémunérée), l’artisanat et la petite industrie à forte utilité sociale et écologique (selon un cahier des charges à établir);

• Soutenir l’approvisionnement de proximité et s’assurer que, notamment, les appels d’offres de l’Etat genevois favorisent la consommation locale et les sources d’approvisionnement produites dans la région;

• Encourager le télétravail ou les horaires variables, afin de réduire les effets néfastes d’une forte pendularité sur les besoins en infrastructures et sur le climat;

• Favoriser des mesures fiscales encourageant le retour dans notre canton de systèmes de production respectant scrupuleusement les principes de l’économie sociale et solidaire, et mettre en place des formes de fiscalité écologique afin de favoriser des comportements vertueux. (…)

Voici quelques propositions que nous vous adressons dans l’espoir que l’urgence du court terme ne prétérite pas plus encore notre survie collective et le bien commun. Nous sommes bien conscients que le Conseil d’État, ou le canton de Genève à lui seul, ne pourront résoudre un problème mondial d’une telle portée. Toutefois, chaque mobilisation de collectivités publiques dans ce sens doit être encouragée. Par ailleurs, le Grand Conseil genevois a décrété l’urgence climatique le 4 décembre 2019. Il est grand temps d’y accorder au moins autant d’importance qu’à l’urgence sanitaire actuelle.

Nous vous remercions de l’attention que vous accorderez à ce courrier. Dans un souci d’action, nous nous tenons à disposition, ainsi que plusieurs personnes engagé-e-s sur le terrain, pour constituer un groupe de travail afin de vous rencontrer et réfléchir plus avant à ces propositions.

Au nom du collectif,

Souad von Allmen,
Michel Maxime Egger,
Jonathan Normand
et Daniel Wermus.

Signataires

Sébastien Aeschbach, directeur Chaussures Aeschbach SA; Souad von Allmen, chargée d’information ONG; Shady Ammane, professeur de littérature et médiateur interculturel; Catherine Baud-Lavigne, directrice adjointe de la Chaîne du Bonheur; Danièle Bianchi, enseignante spécialisée retraitée, membre des Ainées pour le climat, membre de la communauté baha’ie; Christophe Barman, fondateur de Loyco, président de la Fédération romande des consommateurs; Rudi Berli, maraîcher, président d’Uniterre Genève; Dominique Biedermann, ancien président de la Fondation Ethos; Dominique Bourg, philosophe et professeur honoraire à l’Université de Lausanne; Anne Bruschweiler, directrice du Théâtre Forum Meyrin; Dr Bertrand Buchs, médecin, député au Grand Conseil; Elise Buckle, présidente de Climate & Sustainability, conseillère auprès des Nations Unies, conseillère communale à Nyon; Marie Cénec, pasteure, membre du Laboratoire de transition intérieure; Jean-François de Saussure, directeur général de Caran d’Ache SA ; Dr Bhante Dhammika, centre bouddhiste international de Genève; Emmanuel Fuchs, pasteur, président de l’Eglise protestante de Genève; Christophe Dunand, directeur de Réalise, membre du comité d’Après réseau de l’ESS; Michel Maxime Egger, sociologue et responsable du Laboratoire de transition intérieure (Pain pour le prochain et Action de Carême); Géraldine Pflieger, professeur en politiques de l’environnement, Université de Genève; Giorgio GIovannini, directeur de Mobilidée; Philip Grant, avocat, directeur d’ONG; Cédric Juillerat, directeur de Codalis groupe Bechtle; Aymeric Jung, Managing Partner de Quadia Impact Finance; Delphine Klopfenstein Broggini, conseillère nationale; Natacha Koutchoumov, codirectrice de la Comédie de Genève; Joëlle Libois, formation en travail social; René Longet, expert en développement durable, ancien maire de la Ville d’Onex; Liliane Maury Pasquier, présidente honoraire de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ancienne conseillère aux Etats; Michel Mayor, prix Nobel de Physique 2019; Blaise Menu, pasteur, modérateur de la Compagnie des pasteurs des diacres EPG; Brigitte Mesot, responsable de la Pastorale du Monde du Travail, Eglise catholique de Genève; Guy Mettan, journaliste, ancien directeur du club suisse de la presse, député au Grand Conseil; Jacques Maire, fondateur des Editions Jouvence; Jonathan Normand, directeur exécutif B Lab Suisse, organisme de standard en durabilité, président Demain Genève; Andrea Novicov, directeur du Théâtre de l’Orangerie; Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation pour l’Entre-connaissance; Isabelle Pasquier-Eichenberger, conseillère nationale; Stéfanie Prezioso, conseillère nationale; Ivo Rens, professeur honoraire, Université de Genève, secrétaire de la Fondation Biosphère et Société; Jean Rossiaud, député au Grand Conseil, président de Monnaie Léman; Julie Schnydrig Kettenacker, présidente de Pro Natura Genève; Catherine Schümperli Younossian, spécialiste en politique de développement; Sophie Swaton, philosophe et économiste, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne; Michel Veuthey, docteur en droit; Nicolas Walder, conseiller national; Joëlle Walther, présidente de l’Assemblée du Consistoire de l’Eglise protestante de Genève; Daniel Wermus, journaliste, fondateur de l’agence InfoSud et Média 21; Zep, auteur de bande dessinée; Carole Zgraggen Linser, géographe, membre du comité d’Après-GE; Dominique Ziegler, auteur, metteur en scène; Jean Ziegler, sociologue.

* https://painpourleprochain.ch/ne-pas-oublier-le-climat-dans-les-plans-de-relance/

www.appel-ge-climat.ch/

Opinions Agora Collectif Covid et climat

Connexion