Chroniques

Roots bloody roots

En coulisse

La «découverte» de l’Amérique en 1492 généra le fameux commerce triangulaire, qui reposait sur l’esclavage, et permit l’accroissement massif des grandes fortunes européennes, le développement des villes, de la puissance militaire occidentale, etc. Pendant des siècles, les très chrétiens royaumes d’Europe organisèrent la mise en servitude de millions d’êtres humains et légiférèrent en conséquence.

Côté français, citons quelques articles du Code Noir édicté par Colbert et signé par Louis XIV: «Article 33: L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort»; «Article 35: Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, bœufs ou vaches, qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort, si le cas le requiert»; «Article 38: L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort.» Un peu d’humanité à l’article 14: «Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs esclaves baptisés. Et, à l’égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.» Dans les dictionnaires, les notices biographiques concernant Colbert le présentent comme un grand homme d’Etat; il fait toujours référence pour son legs en matière de politique économique.

Le génocide des Indiens et la mise en infériorité des Noirs sont les socles sur lesquels s’est construit l’enrichissement de l’Europe, puis de son avatar les Etats-Unis. L’esclavage est intimement lié au développement de l’économie capitaliste, comme l’a magistralement démontré Domenico Losurdo dans sa Contre-histoire du libéralisme (La Découverte, 2013). De grandes familles suisses ont aussi assuré leur prospérité en participant à ce très lucratif marché.

Même si les Lumières ont semé dans les consciences les graines qui feront éclore le mouvement abolitionniste, la bourgeoisie européenne éclairée du XVIIIe siècle ne se priva pas de prendre part à l’infâme commerce, à commencer par le fameux Voltaire. L’infériorité des Noirs semblait si évidente à ces dynamiques entrepreneurs qu’elle n’avait pas besoin de faire l’objet d’une quelconque justification intellectuelle.

Comme la contradiction avec les préceptes chrétiens était quand même de taille, l’Eglise, complice active de l’esclavage, légitimait l’affaire en se référant à un épisode de la Genèse, dans lequel Noé maudit son fils Cham qui l’avait surpris ivre, et le condamna à demeurer esclave. Par un tour de passe-passe théorique, Cham devint l’ancêtre supposé de tous les Noirs, et leur sort se trouva justifié par cette ancestrale malédiction. Cette explication vaseuse sera reprise plus tard par les protestants afrikaners, qui y puiseront une justification parmi d’autres de l’apartheid. Les «travaux» du biologiste suisse Louis Agassiz sur l’«inégalité des races» (publiés aux Etats-Unis) furent aussi des arguments pour les racistes blancs d’Afrique du Sud et d’ailleurs.

En France, les recherches pseudo-scientifiques d’un certain docteur Gobineau, qui comparait la taille des cerveaux des Blancs et des Noirs au détriment de ces derniers, influencèrent considérablement la «pensée» raciste des XIXe et XXe siècles. Dans les années 1970 aux Etats-Unis, un psychologue réputé, Arthur Jansen, publiait ses théories sur les différences supposées de Q.I. entre les Blancs et les Noirs, avec désavantage infligé aux seconds pour des «raisons génétiques». Ses articles furent publiés dans le monde entier.

Le racisme décomplexé des élites politiques, économiques ou médiatiques, jamais sanctionné, perdure de nos jours, comme en témoignent les propos abjects d’un Zemmour qui jouit d’une surexposition médiatique permanente, d’un Sarkozy à Dakar ou évidemment d’un Trump parlant déjà, il y a deux ans, des pays africains comme des «pays de merde». Toutes les initiatives du CRAN [observatoire du racisme anti-Noirs] et d’autres associations pour que des réparations matérielles soient accordées aux descendant-e-s d’esclaves et de crimes coloniaux ont été rejetées.

Le racisme n’est pas l’apanage des policiers. Il est l’ADN même de nos sociétés. Il est le ciment de nos routes, la brique de nos maisons, l’origine de notre développement. Aujourd’hui encore, le racisme anti-Noirs n’est toujours pas combattu comme il se doit par les instances dirigeantes occidentales, qui se contentent, dans le meilleur des cas, de déclarations molles et hypocrites ou de lois bidon jamais suivies d’effet. Et pour cause: le combattre efficacement revient à scier les racines mêmes de nos «démocraties» occidentales!

Notre chroniqueur est auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

Chronique liée

En coulisse

lundi 8 janvier 2018

Connexion