Chroniques

Changement de régime à l’ombre du corona

AU PIED DU MUR

Depuis sa création, Israël s’est toujours défini comme un «un Etat juif et démocratique». Mon ami Jamal Zahalka, ancien député de la Liste arabe unifiée, avait l’habitude de dire, avec humour: «C’est vrai – un Etat démocratique pour les Juifs, et un Etat juif pour les Arabes». Ce label démocratique était important non seulement pour l’image d’Israël dans les pays occidentaux, mais également pour l’image de soi qu’entretenaient la majorité des citoyens juifs.

Depuis le vote, il y a deux ans, de la loi constitutionnelle qui définit Israël comme «l’Etat-nation du peuple juif», c’en est fini de cet oxymore: Israël ne prétend plus être une démocratie, et le gouvernement règne dans le cadre d’un état d’urgence indéfini, où les structures démocratiques ont été mises au placard. La crise provoquée par le coronavirus en est le prétexte, mais la contre-réforme était en place depuis longtemps.

Le pouvoir législatif est soumis aux décisions de l’exécutif, et le judiciaire, longtemps décrit par la clique Netanyahou comme une atteinte à la souveraineté populaire, a cessé d’être le garde-fou qu’il a longtemps été contre l’arbitraire de l’exécutif: la Cour suprême vient de rejeter un appel qui voulait interdire la possibilité à un inculpé pour corruption aggravée d’être premier ministre – ce qui est déjà le cas pour les autres ministres. En outre les lois d’exception du mandat britannique, qui avaient été de fait abolies par Menahem Begin à la fin des années 1970, sont appliquées à nouveau, donnant entre autre aux services de sécurité divers pouvoirs exorbitants. Le corona a bon dos…

Le but des changements constitutionnels est triple: garantir le pouvoir de Netanyahou pour les années à venir; empêcher une éventuelle condamnation pour ses affaires de corruption; se préparer à réprimer un mouvement social de grande ampleur. Ce troisième volet est le plus préoccupant: le Conseil de sécurité nationale (CSN), qui n’a de compte à rendre qu’au premier ministre, vient d’élaborer un plan d’action contre ce qu’il appelle «un soulèvement populaire» – c’est-à-dire un mouvement social qui risque d’éclater dans le sillage de la crise économique et sociale provoquée par la pandémie, alors que la pauvreté s’étend à une vitesse vertigineuse.

A l’instar de ses amis Orban, Bolsonaro ou Duterte, Netanyahou voit dans le peuple une menace, un ennemi de l’intérieur contre lequel il doit se protéger par tous les moyens. Grâce à la capitulation de l’opposition centriste – pourtant vainqueur par trois fois des élections –, il a les mains libres pour mettre en place un régime autoritaire. La démocratie israélienne, tant vantée par les amis de l’Etat juif en Europe, a bel et bien cessé d’exister.

Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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