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Les prisons suisses n’ont pas pris les mesures qui s’imposaient en contexte de pandémie

Les prisons suisses n’ont que très insuffisamment mis en œuvre les recommandations sanitaires en matière de lutte contre la propagation du Covid-19. Réagissant à un article paru dans Le Courrier le 20 avril (1), la Ligue suisse des droits de l’Homme-Genève (LSDH-Ge) détaille la situation de la prison de Champ-Dollon.
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Non, les autorités politiques et judiciaires n’ont pas – encore – pris toutes les mesures qui s’imposent dans le cadre de cette crise sanitaire inédite pour éviter que la pandémie ne se répande dans les prisons. Elles ont certes pu compter sur un service de médecine pénitentiaire responsable, mais n’ont mis en œuvre que de manière très insuffisante les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Office fédéral de la santé publique ou encore du Comité européen pour la prévention de la torture et autres traitements dégradants (CPT) visant à garantir la sécurité sanitaire dans les lieux de privation de liberté.

Concernant la prison de Champ-Dollon en particulier, il convient de relever que, malgré les interpellations réitérées de la part de nombreuses associations, les autorités politiques, le Ministère public, le Tribunal des mesures de contrainte et le Tribunal d’application des peines et mesures se sont contentés de limiter la surpopulation chronique dont souffre cet établissement, sans réussir à la contenir. Si les autorités se félicitent d’avoir pris des mesures, il ne faut pas oublier que celles-ci ne permettent toujours pas, actuellement, de respecter le nombre de places maximum prévu dans l’établissement.

Les mesures que les autorités ont prises dans le contexte exceptionnel de cette pandémie ne sont en réalité rien d’autre que les mesures qu’elles auraient dû adopter depuis longtemps et qu’elles devront a minima appliquer à l’avenir, qu’il s’agisse par exemple de procéder à davantage de libérations conditionnelles, comme le droit le prévoit en tout temps, ou de n’incarcérer que les personnes faisant courir un réel danger à la société. A cet égard, il sied de rappeler que la privation de liberté est la peine la plus intrusive applicable en Suisse.

Dans cette situation extraordinaire, les autorités se sont ainsi contentées de prendre des mesures qui devraient être ordinaires et qui révèlent bien que la surincarcération de la population est non seulement inutile, mais surtout inacceptable, particulièrement dans le contexte d’une pandémie mais pas seulement.

Cette pandémie horrible aura toutefois enfin amené les autorités à mettre en œuvre des mesures alternatives à la détention qui sont de nature à diminuer significativement le nombre de personnes détenues dans notre canton et à favoriser le respect de conditions de détention acceptables. L’application – encore trop timide – de telles mesures suffit en outre à mettre en évidence l’inutilité des projets pénitentiaires pharaoniques initiés par le conseiller d’Etat Pierre Maudet et dont le Grand Conseil, fort heureusement, comprend le caractère pour le moins démesuré.

Tandis que le déconfinement se met progressivement en place, les épidémiologistes compétents insistent sur le fait que le virus n’est malheureusement pas prêt de disparaître et que le risque d’une deuxième vague comme celui de pandémies futures est à craindre. Dans ce contexte, les autorités doivent enfin prendre des mesures véritablement exceptionnelles qui permettront, sans délai et durablement, de respecter pleinement les recommandations sanitaires pour garantir la santé des personnes détenues, étant rappelé que le bureau Europe de l’OMS a alerté sur le fait que «les efforts de lutte contre le Covid-19 dans la société risquent d’échouer si des mesures énergiques (…) ne sont pas également mises en œuvre dans les prisons».
Il importe que les autorités judiciaires et les représentants politiques sachent tirer les leçons de cette période extraordinaire pour que le canton de Genève soit plus respectueux des droits fondamentaux et davantage orienté vers l’humain, en abolissant la détention administrative et en développant les mesures alternatives à la prison, comme le préconise la LSDH avec de très nombreuses associations de la société civile internationale depuis de trop nombreuses années.
* Membre du comité de la LSDH-Genève.

 

1 L. Jorio/Swissinfo, «Pas de libération pour les détenus», Le Courrier du 20 avril 2020.

Opinions Agora Marc Morel Milieu carcéral

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