Chroniques

Fin mars 2020

A rebrousse-poil

Le ciel est bleu. Trois jonquilles ont éclos dans mon jardin, où l’on entend les oiseaux.

L’humanité a cru qu’elle était le centre de la création. Maintenant, elle retient son souffle, paniquée… la vie, autour, continue.

En vrac: Reprenant les mots de certains puissants, un ami me disait hier au téléphone, dramatique:

– Nous sommes en guerre!

Sans minimiser la gravité de la situation, je lui ai fait remarquer que nous n’étions pas à Idlib sous les bombes, que nous ne croupissions pas dans un camp de réfugiés sur une île grecque, et que notre emprisonnement momentané n’avait rien à voir avec ce que subissent les habitants de Gaza depuis des années.

J’ai dit cela… je l’avoue, aussi pour mon usage personnel.

N’étant pas un héros, pour garder le moral, je collecte les faits positifs: D’abord mon amour, confinée à Paris, est en bonne santé. Courageuse, elle supporte la séparation. Grâce aux mails et à Skype, nous sommes quotidiennement en contact. De mon côté, je n’ai aucun symptôme qui pourrait inquiéter. Coincé dans mon village aux rues encore plus calmes que d’habitude, je me permets une petite sortie le matin et une autre en fin de journée. Tout en gardant mes distances, j’ai plaisir à saluer des connaissances, des inconnus aussi. Surtout, je ne manque pas de remercier chaleureusement, lorsque je les aperçois de loin, les courageux qui nous permettent de continuer à vivre: vendeuses, commerçants, postiers, personnel de santé, employés communaux. Il faudra impérativement se souvenir d’eux, et de l’importance vitale des services publics, quand tout sera passé.

A l’affût des bonnes nouvelles: Parce que ça fait du bien! En Chine on revient à la normale.
Après quelques jours de fièvre et de maux de tête, bien plus du 95% des personnes infectées guérissent.

Réflexions: Cette épidémie provoque deux mouvements contraires. Pour des raisons sanitaires, elle nous pousse à nous écarter des autres. Mais elle fait naître aussi une furieuse envie de nous rapprocher des amis, dont on réalise à quel point ils sont précieux. Combien de coups de fil a-t-on donnés ou reçus, combien de fois a-t-on dit: «On ne s’est pas assez vus ces derniers temps! Dès qu’on le peut, on se retrouve!»

Les autorités officielles ayant montré leur manque de préparation, on a tendance à se tourner vers les francs-tireurs: ce professeur Raoult de Marseille, avec sa chloroquine, est porteur d’espoir. S’il pouvait avoir raison…

Revient en force, au premier plan, une notion qui semblait en passe de tomber dans l’oubli: la solidarité. L’entraide, entre les simples gens, le vivre ensemble. Les signes sont partout.

A ce propos: Entendu à la télé un orchestre symphonique de Serbie qui interprétait un morceau pour témoigner son soutien au peuple italien. Ce n’était pas un hymne national, non, c’était «Bella ciao!», la chanson des partisans. Un symbole?

Des médecins cubains viennent en aide à l’Italie. Oui, des gens venus de Cuba, cette île qu’on étrangle depuis des décennies. Un autre symbole…

Envoyé par une association d’aide à la Palestine, je reçois un lien vers une vidéo: un homme dans une rue de Gaza, nous fait part de la solidarité de ses compatriotes dans l’épreuve que nous traversons. Quelle leçon!

Ne pas oublier: Nous sommes nombreux, depuis longtemps, à répéter que l’organisation de la société qui découle de la mondialisation incontrôlée, de l’ultralibéralisme, nous mène droit dans le mur. Les faits, bruts, semblent dire hélas que nous avions raison. Chaque jour, chaque heure qui passe nous rapproche du bout du tunnel, il faut espérer que nous saurons tirer les leçons de cette crise, et rebâtir un autre monde.

Ne pas oublier non plus le mutisme soudain de ceux qui n’ont pas cessé, depuis des années, d’appeler au démantèlement des services publics, d’étaler leur haine de tout ce qui est «social». Plus personne aujourd’hui pour crier «Moins d’Etat!» Bizarre, non? Bien sûr, l’heure n’est pas aux querelles, ou à chercher des coupables, nous devons rester unis. Mais il ne sera pas interdit, lorsque la tempête sera calmée, de rappeler par exemple les noms des parlementaires qui, le 17 décembre 2019, ont rejeté l’initiative «Pour des soins infirmiers forts». Pas interdit, s’ils osent revenir avec leur idéologie délétère qui prône l’égoïsme et le chacun pour soi… (excusez-moi, je sais que les plaisanteries sont peu indiquées aujourd’hui… mais pas moyen de me retenir) … de leur dire: «Votre main invisible du marché, ne serait-il pas bon de la désinfecter?»

www.michelbuhler.com
Dernier livre: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018, chez Bernard Campiche Editeur, 2019.

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