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La bonne épouse de Martin Provost: intéressant, mais…

La bonne épouse de Martin Provost: intéressant, mais…
"La Bonne Epouse" de Martin Provost. FILMCOOPI
Les écrans au prisme du genre

La Bonne Epouse part d’une idée intéressante: mesurer le gouffre qui nous sépare de la société française des années 1960 où le destin des filles consistait à devenir des bonnes épouses, grâce aux ressources d’un enseignement ménager adapté à leurs besoins. L’enseignement ménager pour les filles existe en France depuis la fin du XIXe siècle, mais sa généralisation date du régime de Vichy qui crée en 1942 un diplôme d’enseignement ménager et rend obligatoire l’«enseignement ménager familial» dans tous les établissements publics de filles qui dépendent du Ministère de l’éducation (lycées et collèges, collèges techniques, écoles primaires de filles). La Quatrième et la Cinquième République maintiendront cet enseignement spécifique destiné aux filles, y compris au lycée (je me souviens avoir sué sang et eau pour apprendre à faire des smocks [broderies sur fronces]). Il faudra attendre 1968 pour qu’il disparaisse progressivement.

Comme l’analyse la sociologue Nicole Mosconi, c’est un «double enjeu de domination qui a présidé à la structuration de l’enseignement ménager: social (civiliser et moraliser les classes populaires à travers leurs filles) et sexué (maintenir les femmes de toutes les classes dans l’espace domestique)». C’est bien ce que le film cherche à montrer à travers l’histoire de cet internat privé en Alsace où sont placées des filles des classes moyennes et populaires (les bourgeoises, elles, font des études), à la veille de 1968. L’institution est la propriété d’un homme (François Berléand) dont on apprendra après sa mort qu’il a dilapidé le capital en jouant aux courses. C’est son épouse (Juliette Binoche) et sa sœur (Yolande Moreau), assistées d’une religieuse (Noémie Lvovsky), qui assurent l’enseignement, sans être payées bien entendu… Une vingtaine d’adolescentes (chiffre en forte baisse, signe avant-coureur de la disparition de ce type d’institution) forment la cible, de plus en plus difficile à atteindre, de cet enseignement. Il y a l’oie blanche, la délurée, la lesbienne, la rousse incendiaire, etc.

Le début du film nous fait assister à l’accueil des élèves à qui la directrice énonce les six piliers de l’enseignement qui feront d’elles de bonnes épouses: un petit chef-d’œuvre de soumission féminine, depuis les petits plats jusqu’au devoir conjugal (pénible mais à supporter vaillamment), en passant par l’hygiène, le repassage des chemises et la tenue des comptes du ménage. Nous verrons la mise en pratique de ces principes au cours de séances qui oscillent entre le burlesque (la confection du lapin chasseur) et le grinçant (le cours de couture pour préparer son trousseau).
Le problème du film, c’est qu’il cherche à nous faire rire plutôt qu’à restituer les mentalités de l’époque. Ainsi Noémie Lvovsky en bonne sœur jure comme un charretier, fume comme un pompier et conduit toute sorte de véhicules, en tirant à l’occasion le coup de fusil, souvenir de la Résistance… Mais elle s’inquiète de l’arrivée d’une élève rousse (la couleur du diable) et va accrocher un crucifix au-dessus de son lit. Yolande Moreau, censée incarner la «petite sœur» de Berléand, danse dans sa mansarde sur un tube de l’époque: «Tombe la neige » par Adamo… Elle n’a vraiment plus l’âge du rôle, et quand elle fait un numéro d’amoureuse transie, ça en devient gênant. Quant à Juliette Binoche, en épouse parfaite, elle est parfaite, sauf qu’à la mort de son mari, elle est censée découvrir l’émancipation, et les scénaristes n’ont rien trouvé de mieux que de lui faire vivre une merveilleuse rencontre avec son amour de jeunesse (Edouard Baer), dont elle a perdu la trace pendant la guerre… Encore une fois, l’émancipation d’une femme passe par la formation d’un nouveau couple hétérosexuel…

Le film se termine sur une chorégraphie vantant les femmes émancipées, qui se veut plus ou moins inspirée de Demy, mais n’est pas Demy qui veut… De même la bataille de polochons dans le dortoir qui provoque un nuage de plumes est lourdement démarquée de Zéro de conduite (Jean Vigo, 1933).

Une fois de plus, un projet intéressant est miné par une écriture paresseuse. C’est dommage!

Notre chroniqueuse est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

Opinions Chroniques Geneviève Sellier Cinéma

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mercredi 27 novembre 2019

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