Déni d’humanité
La nouvelle crise migratoire ouverte vendredi par le président turc, Recep Tayyip Erdogan – qui fait pression sur l’Union européenne en annonçant vouloir ouvrir ses frontières pour laisser passer les réfugiés syriens et afghans vers la Grèce –, secoue l’Europe. Environ 13’000 personnes sont massées le long de la frontière gréco-turque, le fleuve Evros.
C’est une triple crise, géostratégique, politique et humanitaire, qui secoue le Vieux Continent dans un spectacle qui tient surtout du chaos. Car une certaine hypocrisie règne dans ce domaine. Les autorités européennes semblent découvrir que le président turc agit en autocrate totalitaire. Elles ont été moins regardantes lorsque celui-ci si utilisait ces mêmes populations pour faire reculer les tenants de l’autonomie kurde.
La crise est ensuite politique. La forteresse Europe manifeste une nouvelle fois toute la peine qu’elle a à défendre une vision autre que celle de grand marché économique. Une politique commune en matière d’accueil de réfugiés, d’aide un tant soit peu sérieuse de la Grèce en tant que terre de premier accueil semble hors de sa portée.
Par rapport à 2015, date de la première crise migratoire liée à la crise syrienne, le ton a changé. L’extrême droite en a profité pour mener de manière désinhibée sa propagande raciste. Et la fragilité idéologique du bloc conservateur s’est révélée au grand jour. En Allemagne, il a fallu qu’Angela Merkel tape du poing sur la table pour que les tentatives d’alliance entre la démocratie chrétienne et la mouvance néofasciste cessent. Mais pour combien de temps?
Enfin et surtout, la crise est humanitaire. Des dizaines de milliers de personnes errent en fantômes sur des frontières à la recherche d’un souffle d’espoir. En guise de réponse – les images qui circulent sont terribles –, elles ont droit à des tirs à balles réelles pour les intimider et des navettes les repoussent, menaçant de faire chavirer leurs embarcations. Quant aux initiatives d’élémentaire solidarité, elles sont purement et simplement criminalisées par des gouvernements aux abois, comme l’a dénoncé hier Amnesty International dans plusieurs pays.
Jean Ziegler a parlé de «honte de l’Europe» à propos des camps de Lesbos. Et c’est bien l’humanité tout entière qui est blessée par cette politique sans âme qui déroule de manière inexorable sa froide cruauté et dont il faudra un jour faire repentance. Qu’il soit rappelé à ses auteurs que désobéir à ce déni d’humanité est un droit élémentaire, voire un devoir.