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Trop de fétichisme, bonjour les dégâts!

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Il faut parfois revenir aux définitions des choses pour en mesurer la portée. Les «empreintes» sont les mécanismes par lesquels un animal, éventuellement humain, apprend à reconnaître sa mère, puis, un peu plus tard, à définir le type d’objectif qu’il assignera à ses pulsions sexuelles. En discutant avec le bon docteur Francesco Bianchi-Demicheli, sexologue éminent, celui-ci s’exclama: «Mais voici donc l’origine du fétichisme!». Ce à quoi je répondis «oui, bien sûr!», tellement c’était évident à mes yeux. Nous avons donc décidé de reprendre les choses à zéro en deux articles de la Revue Médicale Suisse 1> Bianchi-Demicheli, F. et Langaney, A.: «Repenser le fétichisme» et Langaney, A. et Bianchi-Demicheli, F.: «Chercher, reconnaître et choisir un partenaire» à paraître, semble-t-il, le 1er avril…

Le fétichisme couvre deux notions a priori différentes. A l’origine, c’est un concept raciste des religieux du Livre, visant à disqualifier les religions des colonisés au prétexte qu’ils adoraient des idoles, des objets dont nos prêtres ne se donnaient pas la peine de se demander ce qu’ils représentaient. Leurs quolibets ont eu le bec cloué – j’allais écrire crucifié! – par un célèbre dessin de mon regretté maître Bob Siné: dans un groupe de curés en soutanes, à genoux devant un calvaire, certains s’esclaffent en montrant un «sauvage» prosterné devant un totem… Le fétichisme religieux consiste donc à adorer des objets matériels qui peuvent représenter des personnages imaginaires, des concepts abstraits ou n’importe quoi de pas très palpable en général. C’est commode parce que le fétiche, on va le voir quand on veut, ou même on le trimballe sur soi en modèle réduit et on s’en sert comme d’un smartphone!

Les psychologues et sexologues ont importé, élargi et redéfini le concept en qualifiant de fétichisme la fixation, sur un objet matériel ou une partie du corps, de la pulsion sexuelle. Ce qui permet de regrouper sous la même catégorie les inconditionnel-le-s des grosses poitrines, celui ou celle qui n’atteint le septième ciel que si l’autre porte des cuissardes rouges et toutes les variantes, SM ou autres, que je vous laisse recenser. Ces attractions pour des objets matériels ou des parties du corps signifient que ces «objets de désir» se sont substitués, lors de l’apprentissage de la sexualité, à la personne entière qui est habituellement l’objet du désir. Et c’est là, bien sûr, que l’on rejoint les religieux qui, au lieu de sacraliser seulement les dieux et esprits auxquels ils croient, sacralisent des tas d’objets, depuis les statues, médailles, chapelets, images et autres grigris jusqu’aux livres prétendus saints.

En fait, c’est un comportement très général qui consiste à remplacer ce qui est trop absent par un objet qui le représente ou qui l’évoque. Ça commence avec le premier doudou dégoûtant imprégné de bave et de l’odeur du lait fermenté, ça continue avec tout ce qui est susceptible d’incarner les êtres ou les objets désirés absents et cela finit par les addictions les plus folles et les plus destructrices, comme celles au pouvoir, aux armes et à l’argent.

Prenons le cas de l’argent: c’était, au départ, une bonne idée, qui simplifiait le troc en représentant le pain, le bœuf ou celle ou celui que l’on voulait acquérir comme partenaire. Mais d’Harpagon à Trump, des millions de malades graves ont oublié cette fonction de représentation d’objets ou de sujets de plaisirs à venir et accumulent le fétiche sous forme de pièces, billets ou comptes en banque, sans aucune perspective de les transformer un jour en bonheur en réalisant les plaisirs ­évoqués.
L’addiction à l’argent, comme celles au pouvoir, aux jeux, aux sports ou aux réseaux sociaux, occulte la vraie vie par la recherche obsessionnelle de très médiocres récompenses: à chaque pièce qui tinte dans l’escarcelle d’Harpagon, comme à chaque acclamation en meeting de Trump, ou à chaque like sur internet. Avec les dégâts sociaux monstrueux que l’on sait… Un peu de fétichisme, ça va; beaucoup, bonjour les dégâts!

*Chroniqueur énervant.

 

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lundi 8 janvier 2018

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