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Des camelots et des juges: les nouveaux acteurs de la démocratie

Transitions

Quiconque s’est une fois coltiné la récolte de signatures pour une initiative ou un referendum sait que la tâche est rude! Quand l’affaire est limpide et la météo favorable, on peut espérer un score de vingt-cinq signatures à l’heure. A ce rythme, le badaud qui vous tient la jambe pendant une dizaine de minutes pour faire part de ses commentaires éclairés puis s’en va sans signer laisse un sentiment de frustration. Sans compter les remarques inamicales: «Ah non! Vous êtes encore là, vous!» m’a récemment lancé un citoyen bougon, le regard mauvais. Sur les marchés, cependant, on rencontre aussi des bienveillants, des affables et des avertis: un bout de dialogue s’instaure et la récolteuse se rengorge, reprend pied, retrouvant du même coup le sens de son engagement. Expliquer, convaincre, c’est l’essence même du militantisme. Encore faut-il payer de sa personne en étant physiquement présent-e.

Dans ces conditions on comprendra la profondeur de ma désolation quand j’apprends que des partis comme l’UDC (qui ne cesse de vanter le génie des Helvètes dans l’exercice de leurs droits populaires) ou d’autres associations plutôt bourgeoises se déchargent de cette noble tâche en la fourguant à des officines de marketing politique comme Incop à Lausanne ou WeCollect à Zurich. Depuis quelques temps, des témoignages sur les malhonnêtetés de certains récolteurs rémunérés à la signature font scandale. Au moins ça. Mais pour ma part, avec ou sans discours frauduleux, je trouve la méthode simplement intolérable. Que des vendeurs à la petite semaine, qui n’ont strictement rien à braire de l’enjeu démocratique, proposent leur salade aux passants comme des camelots, c’est une manière de disqualifier l’engagement militant, devenu ringard. Je sais, je suis vieux jeu: je n’arrive pas non plus à signer des pétitions ou des initiatives sur internet, refusant que la démocratie se réduise à quelques clics de souris, un geste dont la portée symbolique est égale à zéro!

A l’inverse, depuis quelques temps, d’autres acteurs, les juges, s’invitent dans le débat démocratique. Le paysage politique est contrasté: d’un côté, l’extrême pauvreté de l’argumentation, de l’autre la subtile interprétation de concepts juridiques sophistiqués. Au milieu, des élus enclavés dans les parlements, des manifestants qui hurlent leurs slogans dans la rue et des désobéissants qui s’invitent dans le hall des banques. Pour ce qui est des juges, je partage évidemment l’enthousiasme suscité par l’acquittement des jeunes joueurs de tennis de Credit Suisse. Même s’il est remis en question par le recours du Ministère public, ce jugement n’en ouvre pas moins de nouvelles perspectives. Je me risquerai à ajouter qu’une éventuelle condamnation, si possible symbolique, ne serait pas une catastrophe qui ternirait l’éclat du premier jugement. Les désobéissants se veulent responsables de leurs actes: c’est leur rendre hommage que de les traiter comme tels. Ce scénario me rappelle d’ailleurs le procès de Lôzanne Bouge: après la condamnation des «meneurs», une campagne avait été lancée en faveur de leur amnistie. Ils n’en avaient pas voulu, estimant que l’Etat les infantilisait: après la démonstration de sa force, il leur infligeait celle de sa tolérance!

La justice a plus d’un tour dans son sac! A l’époque où nous travaillions à la révision du code pénal dans la Commission des affaires juridiques du Conseil national, j’avais été prise de fou rire en découvrant cette étonnante infraction: la «commission par omission»! Il faut être docteur en droit pour inventer des trucs pareils! Aujourd’hui, je ne rigole plus et je me félicite au contraire que cette drôle de chose figure à l’article 11 dudit code pénal, qui stipule: «Un crime ou un délit peut aussi être commis par le fait d’un comportement passif contraire à une obligation d’agir». L’association «Aînées pour la protection du climat», dont la plainte contre l’inaction du gouvernement est pendante devant le Tribunal fédéral, devrait pouvoir bénéficier de cette providentielle disposition juridique, puisque les carences gouvernementales mettent particulièrement en péril la santé et la vie des vieilles dames que nous sommes. C’est ce que vient de faire la Cour d’appel de la Haye en confirmant la condamnation de l’Etat néerlandais pour l’insuffisance de sa politique climatique.

Perplexité… Comment la démocratie va-t-elle s’en sortir? Faut-il s’en remettre aux juges, au risque qu’ils la phagocytent? Faut-il placer nos espoirs dans le numérique, au risque de se prendre une salve de trolls en provenance de Russie? Choisir les arguties juridiques ou l’intelligence artificielle et ses algorithmes? Je préfère encore fréquenter les humains, même renfrognés, même sous le vent ou la pluie.

Notre chroniqueuse est ancienne conseillère nationale.

Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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