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Outils très polluants

Jamil Alioui rappelle que les plateformes en ligne sont des acteurs privés et capitalistes.
Climat

Je réagis à chaud (et en passant) à l’éditorial de Philippe Bach du 17 janvier et, plus généralement, à un présupposé problématique qui mérite une pause. A la première ligne, M. Bach identifie en effet «des moyens dérisoires» et «quelques groupes Whatsapp», or cette identification me semble hautement problématique, pour ne pas dire impossible, a fortiori dans le contexte de la grève du climat.

Les plateformes en ligne qui rendent possibles ces rassemblements sont privées et indubitablement capitalistes. On peut les ranger dans l’ensemble des aberrations écologiques contre lesquelles les rassemblements ont lieu. La cohérence voudrait que ces plateformes soient boycottées au profit de systèmes (existants ou à inventer) plus en accord avec les visées des collectifs qui les utilisent. Or, cette cohérence n’est pas atteignable tant que l’on demeure dans la logique de la simple délégation technique présupposée par l’identification de M. Bach, logique à laquelle on doit une partie importante de l’état des choses actuel en matière d’écologie (on pourrait par exemple disserter sur la proximité entre «délocalisation» et «délégation») et dont la lutte écologique devra bien, à terme, s’émanciper. Autrement dit, la grève du climat hérite peu ou prou d’un premier travail de collectivisation effectué par l’agent privé Facebook (qui, rappelons-le, possède Whatsapp et Instagram, notamment). Je ne dis pas que la lutte écologique comme projet ne joue aucun rôle dans l’effectivité des réunions des personnes de la grève du climat, je dis simplement que ce rôle n’est possible qu’en fonction d’un dispositif opaque, propriétaire et financé en grande partie par de la publicité ciblée et du vol d’informations personnelles, dispositif dont la stabilité et la confiance des utilisateurs (mais on devrait dire comme R. Stallman: des «utilisés») ont été gagnées à force d’un travail technique de pointe, d’une industrie informatique toute-puissante, d’un marketing acharné et d’un anarcho-capitalisme mondialisé qui n’hésite pas, parfois, à utiliser la violence.

En conclusion, les outils de communication qui ont certes réticulé le symbole «G. Thunberg» n’ont rien d’un «moyen dérisoire», au contraire: Facebook, c’est avant tout une très grosse machine polluante et, à l’heure où les urgences conduisent parfois à la cécité, il me paraît très important de le rappeler.

Jamil Alioui,
doctorant en philosophie, université de Lausanne

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