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Homophobie: Lévitique et toc!

L’IMPOLIGRAPHE

Le 9 février, les Suissesses et les Suisses sont appelés aux urnes pour, entre autres, se prononcer sur l’extension de l’interdiction par le Code pénal civil et le Code pénal militaire de la discrimination raciale, ethnique ou religieuse à la discrimination basée sur l’orientation sexuelle. Il fut un temps, pas si loin du nôtre, et dont quelques-uns n’attendent que le retour, où le racisme était normal, au strict sens du terme: il était la norme. La norme, aujourd’hui, c’est le refus du racisme. Sans doute cela ne l’a pas fait disparaître, mais cela dit tout de même que désormais la société ne se fonde plus sur lui pour définir les rapports entre les individus et les groupes. Et que les racistes doivent se le tenir pour dit: rien ne les empêche de rester racistes au bas fond d’eux-mêmes, mais ils ne disposent plus dans nos pays du pouvoir de discriminer, d’injurier, de violenter librement celles et ceux qu’ils considèrent comme d’une «race» humaine inférieure, eux-mêmes se définissant forcément comme étant d’une «race» humaine supérieure. Et s’ils ne disposent plus de ce pouvoir, c’est qu’une loi désormais le leur interdit. Il en va donc de la loi proposée au vote des Suissesses et des Suisses dans trois semaines comme de celle qui déjà proscrit non le racisme, mais sa concrétisation en actes: ce qui nous est proposé, c’est de poser l’homophobie comme contraire à la norme sociale. Comme le racisme. Et comme nombre de pays européens en ont déjà décidé, et comme le Conseil de l’Europe et l’ONU le recommandent.

Le racisme était la norme, l’homophobie aussi. Mais jusqu’à présent, rien dans la loi ne vient encore la contrecarrer. La loi est une norme. Rien d’autre qu’une norme. Elle fixe une limite – à chacun ensuite de décider de s’y tenir ou de la franchir, à ses risques et périls. La loi proposée ne restreint en rien la liberté d’opinion, elle ne punira ni les propos privés, ni les propos non intentionnellement discriminatoires, ni l’expression non injurieuse d’une critique, elle ne punira que des actes publics, intentionnels. Des enfants ont été refusés à la crèche parce qu’ils sont ceux d’un couple homo? Ce ne sera plus possible sans pouvoir être sanctionné; des propos haineux sont lancés à des lesbiennes marchant à Lausanne pour leurs droits? Leurs auteurs pourront être sanctionnés. Il ne s’agit de rien d’autre que de refuser que l’orientation sexuelle continue d’être prétexte à la libre expression de la haine, à la profération de menaces, à l’exercice de discriminations. Fussent-elles justifiées par la psalmodie du Lévitique. Le comité référendaire a beau nous seriner qu’«il y a bien longtemps que les personnes homosexuelles sont considérées comme des membres à part entière de la société», tout son discours prouve qu’il est encore bien loin d’une telle prise de conscience, et d’innombrables témoignages attestent de la persistance – et dans certains milieux de la permanence – de l’homophobie.

A Genève, seules trois formations politiques (dont deux fondamentalistes protestantes) refusent le projet de loi: l’UDC, le Parti évangélique et l’Union démocratique fédérale. L’Alliance évangélique suisse (la faîtière des Eglises «évangélistes», c’est-à-dire fondamentalistes protestantes) la rejette d’ailleurs également, au nom du droit à la «critique de certains mode de vie», conformément à une non moins certaine «compréhension de la Bible». Les Eglises protestantes issues de la Réforme (luthérienne, zwingliste, calviniste) appellent en revanche à soutenir la nouvelle norme. Quant à l’Eglise catholique romaine, divisée, elle a renoncé à donner un mot d’ordre – mais certains de ses dignitaires, comme l’évêque auxiliaire de Coire, se sont exprimés contre, à l’instar de Perspective catholique, un machin dont on avoue qu’on ignorait jusqu’à aujourd’hui l’existence, et dont on préfère continuer à ignorer l’essence. Ne voyez pas, frères et sœurs, dans cette conjonction des fondamentalismes protestants et catholiques une manifestation particulière d’œcuménisme: c’est juste un partage de l’homophobie ordinaire.

Or comme le racisme, l’homophobie tue. Depuis longtemps: il faut mettre à mort les homosexuels, ordonne la Bible (Lévitique XX.13) – c’est peut-être la seule prescription biblique que suivirent les nazis, qui ajoutèrent dans les camps d’extermination les triangles roses des homosexuels aux étoiles jaunes des Juifs. A Genève, au XVIe siècle, on noyait les homosexuels dans le Rhône. Au XXIe siècle, on ne propose pas d’y noyer les homophobes – seulement, en rêve, l’homophobie.

Notre chroniqueur est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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