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Adultes

A rebrousse-poil

«Il faudrait des adultes dans cette salle» dit pensivement la comédienne qui incarne Christine Lagarde, la patronne du FMI, à la fin du dernier film de Costa-Gavras1>Adults in the room, 2019.. La salle en question, où les débats ressemblent par moments à ceux qu’on aurait dans une cour d’école, est celle où se tiennent, en 2015, les réunions de l’Eurogroupe. Ses membres, censés résoudre la crise grecque, y auditionnent pendant des semaines le tout nouveau ministre des Finances de ce pays, Yànis Varoufàkis. Dès le départ les dés sont pipés. Les eurocrates, avec l’Allemagne à leur tête, n’ont aucune intention de rééchelonner la dette contractée par Athènes. Ils opposeront une fin de non-recevoir à toutes les propositions de Varoufàkis, aussi intelligentes soient-elles. Le mépris total. On connaît la suite: le ministre sera contraint à la démission et le peuple hellène continuera à être saigné à blanc, pour le plus grand profit des banques européennes. La dette publique grecque, qui continue de croître, est passée de 178% du PIB en 2016 à 181% en 2019.

Des adultes, je me dis qu’il en faudrait aussi ailleurs, et aujourd’hui.

Les nouvelles venues du Chili font état de manifestations qui continuent, face à une répression toujours aussi brutale. L’annonce d’une augmentation du prix du ticket de métro, qui a provoqué ce mouvement de colère, n’a été que l’étincelle qui a mis le feu à la rue. Les causes de la révolte sont bien plus profondes. On l’entend maintenant dans les cortèges: «On ne se bat pas pour 30 pesos, mais contre trente ans de politique libérale!» Dans un pays où 1% de la population accapare 33% des revenus, où les privatisations de la santé, de l’éducation, des retraites, héritées de l’ère Pinochet, ont creusé les inégalités, la situation est devenue intenable. On a parlé longtemps du «miracle» chilien… Il n’y avait de miracle que pour les très riches. Voici que la baudruche se dégonfle. Seule une sortie de ce système, une redistribution des richesses, ramènera la paix.

On pourrait espérer que l’exemple d’un peuple qui se révolte, parce qu’il a souffert dans sa chair des ravages de l’ultralibéralisme, donne à réfléchir à ceux qui rêvent d’entraîner leur propre pays sur ce chemin. Ce serait pour ces dirigeants faire preuve de maturité, montrer qu’ils sont arrivés à l’âge adulte, en acceptant de remettre en cause des dogmes auxquels ils ont jusque là cru aveuglément. Hélas…

Voyez:

Aux confins de l’Amérique du Sud on se bat pour se débarrasser des vieilles hardes imposées par les Chicago Boys. En même temps, comme il aime à le dire, en Europe le président Macron s’ingénie à imposer à ses concitoyens ce modèle économique, dont il a appris la théorie dans ses grandes écoles, et qui a fait là-bas la preuve de sa nocivité. Ce ne serait que navrant, si cela n’avait pas de funestes conséquences pour le quotidien de millions de Français.

L’abolition de l’impôt sur la fortune a été son premier geste symbolique, un cadeau fait aux riches au tout début de son quinquennat. A mi-mandat, l’impression qu’il laisse est qu’il s’est engagé résolument dans la voie du démantèlement des services publics, de la précarisation des classes basses et moyennes, des privatisations tous azimuts. Les inégalités s’accroissent, on supprime des postes à tour de bras, les travailleurs, surexploités, sont au bord de l’épuisement, la France se désindustrialise, tandis que les hyper riches accumulent des milliards. Exactement ce qui a conduit à l’embrasement du Chili.

Aujourd’hui, les cheminots, les agents du métro, les enseignants, les soignants, les pompiers, les avocats, les étudiants, les retraités sont dans la rue. Les Gilets jaunes n’ont pas baissé les bras, les services d’urgence des hôpitaux, à bout de souffle, sont en grève depuis des mois, les paysans bloquent les routes, les raffineries sont occupées, les avions ne décollent plus. C’est un mouvement social comme on n’en a pas vu depuis des décennies.

Combien faudra-t-il encore de mains arrachées, de manifestants éborgnés, d’étudiants précaires s’immolant par le feu, avant que les gouvernements se remettent au service de toutes les franges de leurs populations, et qu’on jette enfin dans les poubelles de l’histoire l’idéologie ultralibérale?

Notes[+]

www.michelbuhler.com
Dernier livre: L’autre Chemin, chroniques 2008 – 2018, chez Bernard Campiche Editeur, 2019.

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lundi 8 janvier 2018

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