Chroniques

A propos de pédiatrie

À votre santé!

Souvent l’image du pédiatre est associée étroitement à la vaccination, au contrôle du poids – mon enfant est-il bien «dans la courbe»? –, peut-être aussi au suivi du bon développement – mon enfant est-il normal, même s’il se réveille encore beaucoup la nuit à un an? qu’il n’est pas encore «propre» malgré ses trois ans? Et en cas de maladie, toujours angoissante pour un parent, nous sommes aussi là pour, si possible, en donner une cause et, très souvent, au moins rassurer sur une évolution favorable après quelques jours. On prescrit une médication la plupart du temps pour soulager, en attendant que «cela passe».

Il est vrai, surtout en pédiatrie ambulatoire, qu’une grande partie de notre travail est centrée sur «la normalité», dans le but de déceler précocement des anomalies ou des maladies potentiellement graves. C’est dire combien notre travail de promotion (le «bien manger», comment bouger avec et laisser bouger un enfant, etc.) et de prévention de la santé est présent tous les jours. Encore faut-il avoir une notion de la «normalité» souple, qui tienne compte des réalités de chaque famille, et que notre accompagnement soit bienveillant, en se souvenant que dans l’immense majorité des situations les parents cherchent «le mieux» pour leurs enfants. Tout cela demande du temps et doit nous pousser à connaître un peu de la réalité vécue par les familles.

Cela me rappelle un coup de téléphone d’un doyen d’une école que je connaissais bien, qui m’annonce qu’un de mes petits patients, alors scolarisé en 5e primaire et suivi de près parce que ses apprentissages scolaires étaient un peu chaotiques, avait dit comme ça, l’air de rien, qu’il dormait dans une chambre fermée à clé et que cela lui faisait peur. La maîtresse effrayée ne savait que faire de ce témoignage. Evidemment, il fallait prendre les dires de l’enfant au sérieux; mais comment aborder le problème?

Il s’avère que je connaissais bien la famille, ayant eu la chance de suivre les deux parents durant leur enfance ou du moins leur adolescence, que je savais leurs fragilités mais aussi leurs qualités. Je savais aussi que la naissance d’une petite sœur, quelques mois auparavant, avait perturbé le précaire équilibre familial. Nous avions mis en place différentes aides, mais clairement centrées sur la mère et le nouveau bébé, en «oubliant» quelque peu l’aîné.

Dans une discussion franche que j’ai eue avec les parents, ils m’ont confirmé qu’ils n’avaient pas trouvé d’autres moyens pour que leur fils dorme dans sa chambre que d’en fermer la porte à double tour. Ils m’ont aussi raconté l’enfer qu’ils vivaient pour essayer de lui faire faire ses devoirs – que souvent la mère terminait à sa place pour que «l’école ne pense pas qu’ils ne suivaient pas le travail scolaire de leur fils».

Visiblement, toute la famille était en souffrance. Les divers intervenants – le psychiatre de la mère, une infirmière en psychiatrie, un centre mère-enfant piloté par une psychologue, l’école et ses différentes aides socio-éducatives –, chacun avec son regard et sa formation, donnaient «de bons conseils» aux parents. Mais comme c’est souvent le cas, ces conseils pouvaient être ou paraître contradictoires pour une personne ou une famille démunie qui cherche à les appliquer à la lettre.

Il a fallu une réunion de tous les acteurs et de nombreux téléphones pour aboutir à une stratégie commune – et acceptable pour la famille – à la fois encadrante et bienveillante, puis une réunion avec les parents à l’école pour expliquer le soutien socio-éducatif et thérapeutique mis en place et pour faire «du lien». Les rôles de chacun ont été bien définis et des rencontres périodiques ont été agendées.

C’est évidemment au pédiatre d’en assurer la coordination et de veiller avec la famille que le dispositif mis en place soit vraiment aidant et, à défaut, de proposer des modifications. Evidemment, une place importante est donnée à l’enfant.

Une certaine sérénité a été retrouvée, au moins pour un temps, avec quelques garde-fous qui devraient permettre que, la prochaine fois, on puisse contenir une éventuelle «crise familiale» plus rapidement.

Mais croyez-moi, faire accepter par des parents que différents professionnels – y compris scolaires – communiquent entre eux non pas dans un esprit de jugement mais d’accompagnement prend du temps et du doigté. Faire travailler en réseau des spécialistes d’horizons différents n’est pas toujours simple et demande que l’on se connaisse un peu et que l’on puisse se faire confiance.

C’est aussi ça, le travail du pédiatre.

Notre chroniqueur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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