Chroniques

Trumpitude persistante – acte 2

Transitions

En novembre 2016, sous le titre de Trumpitude galopante, j’exprimais dans ce magnifique journal mon effroi à la nouvelle de l’élection de Donald Trump. Me référant à l’accession d’Hitler à la Chancellerie d’Allemagne, J’imaginais un funeste enchaînement d’horreurs nous conduisant tout droit à une troisième guerre mondiale! Trois ans plus tard, je reconnais que cette comparaison était hasardeuse. Trump n’est pas un idéologue belliciste, mais un homme d’affaires ploutocrate un peu taré. Cela ne nous exonère pas d’un devoir de vigilance, car l’entreprise de banalisation du mal que j’évoquais à l’époque, lancée aussitôt après le cataclysme de l’élection, atteint aujourd’hui son apogée, masquant dangereusement le possible éclatement d’une crise majeure.

Le monde semble tétanisé par le spectacle que donne en permanence l’histrion de la Maison Blanche, et cette débauche de balourdises a pour effet paradoxal d’anesthésier notre combativité. Comme au théâtre guignol, chacun attend la prochaine pitrerie et s’en délecte par avance. Il ne s’agit pas seulement de mises en scène loufoques, d’insultes racistes ou de quelque turpitude pernicieuse, mais aussi d’actes politiques incongrus, dévastateurs, ou carrément inhumains, tels que l’achat du Groenland, l’acharnement à accabler l’Iran, la déportation et la détention d’enfants migrants. Sans parler du besoin compulsif de construire un mur à la frontière du Mexique. Autant de missiles virtuels expédiés en ordre dispersé, sur terre, sur mer et même au-delà, puisque Trump entend militariser et dominer l’espace. Or ces missiles, d’autres chefs d’Etat s’emploient à les récupérer et à les recycler. C’est comme si le clown sollicitait son public pour qu’il lui propose quelques scénarios sur lesquels il bâtit aussitôt de nouvelles facéties. Dès lors, en spectateurs ébahis, nous contemplons Trump paradant sur la frontière nord-coréenne, Trump à Biarritz dans les bras de Macron, Trump tapant sur l’épaule d’un ministre iranien en lui promettant la paix. Toutes ces simagrées, généralement sans lendemain, sont tellement hors normes qu’on les accueille en hochant du chef, navré de la vulgarité, de la suffisance de cet homme et de l’incroyable pauvreté du langage et de la pensée. Même si, aux Etats-Unis, la résistance citoyenne s’organise, ici on n’est plus dans l’indignation, on a même passé le stade de l’écœurement, on est juste, avec fatalisme, dans l’attente d’un dénouement que nul ne peut prévoir. On se croirait dans le film de Chaplin, quand Le Dictateur jongle avec la mappemonde en équilibre sur le bout de son doigt.

Moi qui fais partie des gens (rares aujourd’hui) qui croient à la noblesse du politique, je ressens cela comme une disqualification, une batardisation du processus démocratique. Trump n’est pas le seul à exceller dans la bouffonnerie. Dans d’autres pays, sur d’autres continents, on connaît des chefs d’Etat qui sont des guignols aussi graves que lui, mais qui, eux, n’ont pas la puissance des Etats-Unis pour déclencher le feu nucléaire dans la minute qui vient. Parallèlement, des comédiens et des humoristes professionnels aspirent à devenir chefs d’Etat, à l’image du nouveau président ukrainien, dont les médias se demandent avec excitation s’il «saura casser le système»!

Pourtant le système, jusqu’ici, semble résister et la déflagration redoutée n’a pas eu lieu. Peut-on parler de résilience? Faut-il invoquer l’incroyable capacité des peuples à ingurgiter du n’importe quoi sans mettre le monde sens dessus dessous? Ou la capacité de ce n’importe quoi de fabriquer du positif comme par inadvertance? Un autre facteur moins rassurant me semble jouer un rôle, c’est le fait que tous ceux qui, à travers le monde, vomissent la politique et les politiciens, jubilent devant ces comportements incorrects. Plus le président heurte la bienséance et insulte les institutions, plus ils sont convaincus qu’enfin il parle vrai et qu’il comprend leurs aspirations. Cruelle illusion. Pendant que Trump fait le zouave, les faucons, les intégristes de tout poil et les champions des industries les plus polluantes ont le champ libre pour consolider leurs positions.
Le vrai danger pour notre planète est peut-être moins Trump lui-même que ce qu’il déclenche. Sans lui, Bolsonaro aurait-il été élu président du Brésil? Sans lui, aurions-nous des bateleurs malfaisants comme Salvini ou Boris Johnson? Et même ici en Suisse, dans quelle mesure les pourfendeurs de l’Etat et de ses représentants ne se sentent-ils pas autorisés à adopter les mêmes attitudes outrancières pour «faire de la politique autrement», comme ils aiment à dire? En ces temps d’élections fédérales, s’interroger sur cet «autrement» serait une précaution utile pour éviter que le processus démocratique ne dérive vers l’irrespect et le racolage.

L’auteure est ancienne conseillère nationale.
Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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