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Qui a élu Mme von der Leyen?

«Libéraux contre populistes», catégorise Emmanuel Macron. Le dernier vote des eurodéputés montre une réalité un peu plus compliquée.
Union européenne

Providentielle, la canicule de juillet 2019! Elle a occulté une affaire tout aussi révélatrice des dérèglements actuels, mais démocratiques, ceux-là. Aveuglés par la sueur, peu d’Européens ont en effet remarqué que le discours politique dont on les abreuvait depuis au moins trois ans venait d’être dynamité. Et la presse, occupée à d’autres «investigations», ne s’est pas démenée pour le leur signaler.

Des centaines de millions d’électeurs européens étaient jusque-là bercés par un grand récit manichéen. La politique de l’Union et le scrutin de mai dernier se résumaient, leur disait-on, à l’affrontement entre deux camps: les libéraux contre les «populistes»1>Lire S. Halimi et P. Rimbert, «Libéraux contre populistes, un clivage trompeur», Le Monde diplomatique, septembre 2018.. Le 2 juillet, un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union recommande que la ministre chrétienne-démocrate allemande Ursula von der Leyen devienne présidente de la Commission européenne. L’idée serait venue d’Emmanuel Macron. Sa suggestion est naturellement reprise par la chancelière allemande, Angela Merkel, mais aussi par… le premier ministre hongrois, Viktor Orbán.

Depuis son élection, le président français n’avait pourtant cessé de jurer qu’il se montrerait intraitable face aux nationalistes et aux «populistes», porteurs de «passions tristes», d’«idées qui, tant de fois, ont allumé les brasiers où l’Europe aurait pu périr». Ils «mentent aux peuples» et leur «promettent la haine», avait-il lancé2>Discours de la Sorbonne, Paris, 26 septembre 2017.. M. Macron se départit même de son irréprochable modestie pour défier deux de ces incendiaires, le dirigeant d’extrême droite italien Matteo Salvini et M. Orbán: «S’ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison.»

Le 16 juillet dernier, quand les eurodéputés confirment le choix des chefs d’Etat et de gouvernement, les proclamations de campagne – «progressistes» contre nationalistes – cèdent à nouveau la place à une tout autre configuration politique. Les parlementaires socialistes votent tantôt contre Mme von der Leyen (les Français et les Allemands, notamment), tantôt pour (les Espagnols et les Portugais). Et, dans ce dernier cas, ils se retrouvent avec les nationalistes polonais et les affidés de M. Orbán. C’est-à-dire avec ceux-là mêmes que Marine Le Pen courtisait quelques jours plus tôt pour former avec eux un groupe commun à Strasbourg… En définitive, la candidate de M. Macron devra son élection à la présidence de la Commission européenne, acquise avec une majorité de seulement neuf voix, à une coalition hétéroclite comprenant les treize parlementaires hongrois fidèles à M. Orbán ainsi que les quatorze eurodéputés «populistes» du Mouvement 5 étoiles, à l’époque alliés à M. Salvini.

Une telle cartographie du scrutin nous éloigne assurément des historiettes qu’on débite chaque matin à l’intention des enfants européens sages et disciplinés. Parions néanmoins que, même lorsque les températures seront redevenues normales sur le Vieux-Continent, la plupart des journalistes continueront à ressasser les catégories artificielles que M. Macron leur a mitonnées.

Notes[+]

Article paru dans Le Monde diplomatique de septembre 2019.

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