Empoignade autour du financement des soins
La commission de sécurité sociale et de santé du Conseil national (CSSS-N) – où le lobby des assurances et de pharmas est fortement représenté – s’est prononcée en avril pour un projet de loi prévoyant un financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires (EFAS). Actuellement, lorsqu’un patient reste au moins une nuit à l’hôpital, le canton paie 55% au moins du traitement, et la caisse-maladie 45% au plus. Si la même intervention ou les mêmes soins sont effectués de façon ambulatoire, les coûts sont entièrement à la charge de la caisse-maladie et, via les primes, de l’assuré – rappelez-vous les franchises et participations! –, comme les consultations médicales chez un médecin de famille. Tout le monde s’accorde sur le fait que le même soin est plus cher en stationnaire qu’en ambulatoire, mais il peut coûter plus cher aux assurances-maladie en ambulatoire puisqu’elles doivent payer l’ensemble de la facture: ce sont donc elles qui poussent le plus à l’adoption rapide de EFAS. Elles disent le faire au nom des assurés qui devraient voir leurs primes augmenter plus lentement et bénéficieraient, chaque fois que c’est possible, de soins ambulatoires.
Encore faut-il être sûr que le traitement ambulatoire soit mieux pour le patient et qu’il y ait une transparence financière de tous les intervenants. D’une part la même hernie inguinale – dont le traitement chirurgical est simple – n’a pas les mêmes répercussions chez un jeune trentenaire ou un octogénaire, et seule l’évaluation holistique du patient devrait déterminer le mode de prise en charge. D’autre part on sait maintenant – grâce à l’opiniâtreté de certains cantons – que l’augmentation des primes-maladie ne reflète pas fidèlement celle des coûts à charge des caisses-maladie: dans plusieurs cantons, les sommes encaissées pour 2018 étaient, une fois de plus, nettement supérieures aux dépenses; on parle de plus de 200 millions payés en trop pour le seul canton de Vaud, 150 pour Genève, ce qui gonfle les réserves des caisses.
Dans une certaine logique, sachant que les soins chroniques des personnes âgées vont prendre de plus en plus d’importance, les cantons, à travers la Conférence des directeurs de la Santé (CDS), proposent d’intégrer les soins de longue durée dans l’EFAS. Ainsi, Heidi Hanselmann, conseillère d’Etat à Saint-Gall et présidente de la CDS, affirme: «Si l’on veut améliorer l’efficience dans toute la chaîne de soins, il convient d’intégrer les EMS et les soins à domicile.» Il faut dire que les cantons participent pour au moins 50% dans les frais de longue durée et ne veulent pas être les «dindons de la farce». La CDS, d’ailleurs, vient de faire connaître une étude menée à la demande des cantons par l’institut de recherche INFRAS. Or, selon cette étude (c.f.: communiqué de presse de la CDS du 8 août 2019), les contributions financières des cantons et des assureurs augmenteraient respectivement de 49 % et de 40% de 2016 à 2030 avec EFAS sans les soins, alors qu’avec EFAS, soins compris, la progression se situerait à +42% pour les cantons aussi bien que pour les assureurs; cette manière de faire aiderait donc mieux à contenir les coûts. Certes, elle coûterait 2% de plus aux assurances, qui cherchent par tous les moyens d’éviter que cette proposition soit acceptée. Elles argumentent – non sans quelque raison – que là aussi, la transparence des coûts et des financements n’est pas optimale, et de plus varie de canton à canton.
Tout cela est compliqué, mais la position de la CDS paraît cohérente et empreinte d’une certaine logique de santé publique.
Pourtant, il est intéressant de constater que ni la CDS, ni la CSSS-N, ni les assurances ne cherchent à diminuer la part très importante que les malades paient directement de leurs poches. Selon l’OCDE, en 2017, elle avoisinait les 28% des coûts totaux, ce qui fait de la Suisse le pays où elle est la plus importante!
Dans ce jeu, on ne peut que regretter que c’est la logique de l’argent qui soit primordiale, laissant peu de place au bien-être et à la prise en charge individualisée des patients.
Et finalement, ne serait-il pas temps d’envisager un financement par une ou des caisses publiques, dont les primes soient corrélées au revenu?
On voit bien pourquoi la santé, comme le climat, est un enjeu majeur et que les décisions pour ces prochaines années vont dépendre grandement de la relation de force du prochain parlement fédéral: allez voter !
L’auteur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer