Chroniques

Le temps de la consultation médicale

À votre santé!

Sous prétexte de limiter les coûts de la santé, et parce que les partenaires que sont les hôpitaux, la Fédération des médecins suisses (FMH) et les assurances n’arrivaient pas à s’entendre sur une réforme tarifaire pourtant nécessaire, le conseiller fédéral Alain Berset a décidé, entre autres, de limiter le temps d’une consultation médicale à 20 minutes. Bien sûr, j’ai bien en tête l’histoire d’un parent qui est allé chez un urologue où il est resté 5 minutes pour se faire notifier la date d’une petite intervention et recevoir une information écrite de «comment cela va se passer» (à lire à la maison), et qui a reçu une facture de plus de 200 francs (et la poignée de main au lendemain de l’intervention a coûté 100 francs!).

Mais j’ai aussi en mémoire cette consultation pour un contrôle des 6 mois d’un bébé charmant et bien portant: au moment de terminer l’entretien, j’ose dire à la mère que je la sens fatiguée et que finalement je suis plus en souci pour elle que pour son bébé. C’est alors qu’elle s’ouvre sur ses difficultés de vie, dont elle n’a jusque-là parlé à personne, parce que, dit-elle, avec son travail et ses deux enfants, elle n’a pas le temps. Comment ne pas prendre alors «le temps» (saisir l’opportunité) pour évoquer avec elle quelques pistes possibles… et cela prend vite 30 minutes.

Je pense aussi à cet adolescent, que je connais depuis sa tendre enfance et qui vient pour la première fois seul: on parle de son école, de ses projets professionnels, de sa famille et tout semble simple. Sauf qu’au moment de conclure, il me glisse deux mots sur le fait qu’il joue beaucoup aux jeux vidéo en ligne et que cela provoque des tensions avec ses parents: s’agit-il d’une dépendance ou seulement d’un plaisir?… Une fois encore, cela va «prendre du temps», que l’on ne peut pas différer, car on sait combien un tel «aveu» (qui marque une certaine confiance) doit être traité sur le moment. Après une bonne demi-heure (qui s’ajoute à la première!), on décide ensemble que l’on se reverra rapidement avec les parents pour en discuter et en l’occurrence pour dédramatiser.

J’ai envie encore de citer cette personne qui a enfin osé aller chez un généraliste à plus de 60 ans, poussée par sa famille, parce qu’elle souffrait certes de quelques maux, mais surtout d’insomnies rebelles. Elle a eu un contrôle général complet nécessaire à cet âge avec des examens de laboratoire et radiologiques tout à fait pertinents (qui l’ont d’ailleurs plutôt rassurée, car il n’y avait «rien de grave»). Pourtant, en rentrant à la maison, son entourage lui a demandé ce qu’on lui avait proposé pour avoir de meilleures nuits, et elle s’est rendue compte à ce moment «qu’elle n’avait pas eu le temps d’en parler».

Je sais, pour avoir travaillé plus de trente ans en hôpital, combien le temps de «la visite» est important, non seulement pour faire le point de situation et adapter la thérapie pour les 24 heures suivantes, mais aussi pour laisser du temps pour répondre aux questions des patients (et des parents en pédiatrie), pour s’intéresser aussi à l’entourage (les autres enfants, qui vont à l’école, etc.), et donc de parler de la logistique habituelle perturbée qui rajoute du stress parfois inutile et à laquelle on peut réfléchir ensemble afin de dégager des solutions pragmatiques (y compris parfois de prendre le petit frère de 1 an à l’hôpital par exemple… mais il ne faut pas le dire!).

Ces différentes situations me font conclure que l’on ne doit pas limiter le temps de consultation. Ce temps doit être un «présent absolu» où les minutes qui s’égrènent n’ont pas d’influence, pour permettre au mieux la possibilité d’une rencontre en confiance qui est le prélude à une prise en charge intelligente et holistique. D’ailleurs, je n’ai jamais voulu savoir si j’avais du retard dans mon planning (même si je me surprenais parfois d’avoir de l’avance!).

Donc, comme patients, je pense qu’il est important de préparer ce «temps», au besoin en écrivant les soucis que l’on veut aborder avec son médecin, et pour nous, soignants, de ne jamais terminer ce «temps» sans demander si on a bien fait le tour des questions que l’on devait se poser.

Sachons, comme médecins, résister à la tentation du «minutage» de nos consultations: on y perdra en qualité (pour nous et pour eux). Rappelons aux décideurs politiques que ce n’est pas là qu’il faut faire des économies, n’est-ce pas Monsieur Berset?

* Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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