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Le Conseil fédéral au chevet des… pharmas

À votre santé!

Le prix des médicaments est trop cher en Suisse. Comme je l’évoquais dans cette même rubrique en juillet 2018, on ne parvient plus à soigner tout le monde en Suisse, en particulier en cancérologie, avec des médicaments pourtant reconnus comme efficaces par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et par les Sociétés européennes de spécialistes, parce que leur coût demandé par les pharmas est exorbitant et que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) n’a donc pas donné son feu vert. Par conséquent, les assurances n’ont pas l’obligation de payer. L’OFSP estime d’ailleurs que près de la moitié des quelque 90 demandes d’autorisation de l’année dernière concernait des traitements dépassant 100 000 francs par personne et par an! Il est clair que les coûts de recherche peuvent être élevés – mais il faut rappeler aussi que beaucoup de recherches fondamentales sont faites dans nos universités.

Ainsi, les pharmas devraient pouvoir justifier le prix en démontrant en toute transparence comment il est construit, ce qui n’est pas le cas actuellement. L’OFSP n’a que la comparaison avec d’autres pays pour négocier le prix définitif. Or il est de notoriété publique que de nombreux pays bénéficient de rabais spéciaux (qui restent hélas confidentiels) de la part des pharmas sur certains produits. Cela veut dire que le panier des prix sur lequel l’OFSP se base est faux et surévalué.

Qu’est-ce qu’un prix juste? Pour être considéré comme équitable par l’OMS, le prix d’un médicament doit rester abordable pour les systèmes de santé et pour les patients, tout en incitant l’industrie à investir dans l’innovation et la production des médicaments. On s’est donc bien éloigné de cette définition ces dernières années et les entreprises pharmaceutiques ont perdu toute décence dans les prix proposés.

Bonne nouvelle: fin mai 2019, après d’intenses négociations, l’Assemblée mondiale de la santé a adopté, à Genève, une résolution demandant plus de transparence sur les marchés des médicaments. Bien que non contraignante, cette résolution avait été présentée en février par l’Italie, soutenue dans un premier temps par l’Espagne, le Portugal, la Grèce, puis par une quinzaine de pays africains ou asiatiques. Elle demandait une transparence sur le prix final réel dans les différents pays, mais aussi de «prendre des mesures» pour assurer cette même transparence sur les coûts de recherche et de développement des médicaments et pour éviter que des accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux la limitent. Elle donnait un mandat à l’OMS pour encadrer la fixation des prix des médicaments.

L’Allemagne et le Royaume-Uni, soutenus par la Suisse, le Danemark, la Suède et le Japon – tous ces pays disposant d’un important secteur pharmaceutique – s’y sont opposés et ont cherché par tous les moyens à édulcorer le texte, au point que, 24 heures avant la fin de l’Assemblée mondiale de l’OMS, tout semblait compromis. Il faut dire que la divulgation des positions des différents pays, au cours des négociations, a fâché ceux qui s’opposaient à la résolution, au point que l’Allemagne et le Royaume-Uni se sont retirés. C’est le soutien de dernière heure de l’Inde et du Brésil, entre autres, qui a permis malgré tout de signer une résolution malheureusement très affaiblie.

C’est mieux que rien et c’est un premier pas. Mais il faut comprendre que la Suisse a été très active pour faire repousser l’idée de mesures pouvant obliger la grande industrie pharmaceutique helvétique à révéler ses coûts. En fin de compte, le lobby des pharmas a gagné; seule une «intention de transparence» des coûts, au bon vouloir des fabricants, reste dans la déclaration finale. Donc rien ne va changer, et le Conseil fédéral a œuvré contre une solution pour diminuer le prix des nouveaux médicaments.

C’est plus simple de proposer, comme vient de le faire la Commission de la santé publique du Conseil des Etats (après celle du Conseil national), d’autoriser les assurances à faire recours contre leurs obligations de rembourser certains médicaments du fait que «les payeurs de primes font les frais des prix trop élevés des médicaments». Tiens, seulement eux? et en attendant… tant pis pour les patients!

L’auteur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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