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Broum broum

En coulisse

Dans un éditorial du GHI, le mois passé, Pascal Décaillet montait au créneau pour défendre une partie de la population victime, selon lui, d’un terrifiant ostracisme. De qui s’agissait-il? Des migrants? Des seniors? Des artistes? Aucune de ces catégories. La frange de la population que le journaliste entendait défendre contre les maux de l’époque et de la société n’était autre que… les automobilistes, victimes supposées de mesures liberticides de la part des Verts et de leurs affidés. Dans son article, subtilement intitulé «Automobilistes, révoltez-vous», le sympathique commentateur de la vie locale lâche les gaz et fait feu de tout bois: «On n’a pas à se laisser convertir de force à la nouvelle religion du climat, qui nous impose ses dogmes, nous tient sous sa férule, nous édicte le bien et le mal, nous promet Apocalypse et Jugement dernier…» Et le Péguy des quatre roues de fustiger une classe politique tétanisée par «la pensée climatique dominante» et d’appeler à un nouveau 14 juillet à saveur carbonique: «Ostracisme, non. Et s’il faut se révolter et organiser la riposte, eh bien faisons-le, parce que ça commence à suffire!»

Avouons-le franchement, la lecture d’un tel article à notre époque paraît relever de l’humour noir surréaliste ou de la science-fiction pure et dure. On ne fera pas l’affront aux lectrices et lecteurs de rappeler le contexte de compte à rebours létal qui pèse aujourd’hui sur la planète et sur l’humanité. Les jeunes générations se chargent régulièrement de sonner le tocsin et rappellent la nécessité absolue de repenser notre rapport aux modes de transport et à la voiture en particulier. On se contentera de quelques réflexions de proximité ayant traits au quotidien des habitant(e)s de ce canton, en matière de sécurité. Contrairement à ce qu’affirme l’éditorialiste du GHI, la voiture reste reine sur les principaux tronçons du canton. Dans les campagnes, la situation est particulièrement inquiétante. L’absence de garde-fous au milieu de certains villages offre toute latitude aux automobilistes de foncer à l’allure qui leur sied. Quant aux routes de campagne qui relient les villages les uns aux autres et offrent parfois l’unique débouché pour de nombreuses promenades familiales cyclistes ou pédestres, elles se caractérisent elles aussi par l’absence de tout obstacle à la frénésie automobiliste. La mollesse de certaines communes est légendaire lorsqu’il s’agit de s’attaquer à cet état de fait, comme s’il n’y avait aucune urgence à assurer la sécurité des personnes les plus vulnérables aux dangers de la route. En ville, on ne compte plus les enfants renversés à la sortie des écoles. Le TCS indique que la cause de mortalité principale en Suisse pour les enfants âgés de 5 à 14 ans est l’accident de la route.

Le règne de la bagnole est très loin d’être terminé; il prend même un essor inquiétant. La prescience de la catastrophe écologique à venir, la dureté croissante des rapports sociaux, la tension et le stress qui imprègnent le quotidien de toutes les couches de la population génèrent des comportements irréfléchis chez nombre de nos contemporain(e)s qui s’arc-boutent sur leurs petits privilèges personnels au premier rang desquels le rapport au volant, pathologique et quasi-freudien. Ce nouveau paradigme de l’égoïsme se manifeste sur les routes genevoises par un taux de véhicules anormalement massifs, souvent conduits par une seule personne du haut de son mirador roulant. Totalement grotesque et déplacé dans un tel environnement, les 4/4, Jeep et consorts pullulent sur les routes, augmentant les dangers pour les piétons et les cyclistes. Rajoutez à cela la manie consistant à conduire en regardant son portable et vous avez déjà un nombre d’ingrédients conséquents expliquant les statistiques élevées des accidents routiers. Les piétons paient le plus lourd tribut.

Il n’y a pas de hasard, mais bien des conditions matérielles, qui peuvent se régler politiquement pour autant qu’on le veuille. A cet égard les derniers résultats des élections européennes chez nos voisins donnent un aperçu saisissant des principales forces antagonistes pour les combats à venir. D’un côté les libéraux, premiers responsables de notre modèle de société sans avoir l’air d’y toucher, d’un autre, les nationalistes xénophobes qui, cumulant les tares, se doublent la plupart du temps de climato-sceptiques (à savoir la ligne libérale sans l’hypocrisie) et enfin des partis écologistes régénérés et (on l’espère) guéris de leurs compromissions avec la social-démocratie stérile. Dans quelle mesure des citoyen(ne)s soumis à une pression constante et à un flou idéologique savamment entretenu seront-ils sensibles aux arguments des uns et des autres? C’est une question d’avenir autant que de sécurité immédiate.

Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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