Édito

Une gauche à refonder

Une gauche à refonder
La gauche radicale européenne a perdu un cinquième de sa députation. Ici, un rassemblement de la formation espagnole Podemos. Keystone
Gauche européenne

Une décennie après l’éclatement de la pire crise financière qu’a connue l’Europe, la gauche sort défaite du scrutin européen, les groupes social-démocrate et de la gauche radicale perdant chacun un cinquième de leur députation.

L’affaiblissement des socialistes, punis pour avoir cédé à l’air du temps néolibéral, n’étonne plus guère. Celui de la gauche de la gauche, dont les critiques du capitalisme sauvage se sont vues douloureusement confirmées, interroge davantage.

Depuis l’effondrement de Wall Street et ses funestes conséquences sur les Etats forcés de sauver les spéculateurs, la plupart des soubresauts populaires se sont très vite estompés. De la France insoumise à Podemos, en passant par les percées allemande ou grecque, les exigences de solidarité ont sombré avec leurs hérauts, tandis que le mouvement xénophobe captait durablement le ressentiment des victimes. Et que dire d’une Italie glissant vers le néofascisme sans l’ombre d’une réaction de la gauche politique.

Bien entendu, à la crise du libéralisme s’ajoutent bien des facteurs qui savonnent la planche des partis de la gauche radicale européenne. A commencer par la poursuite du redéploiement de la production et du capital, toujours plus fluides et mondialisés, qui affaiblit tant l’espace démocratique que l’identité et la résistance des travailleurs. Ou l’affirmation de clivages culturels, religieux et sociétaux qui viennent compliquer la définition du projet émancipateur.

Et lorsque malgré tout, la gauche de transformation parvient à émerger, elle fait face à une réaction redoutable. Cible constante des médias de masse qui n’aiment la gauche que lorsqu’elle est de droite, voire objet de persécution politique, comme en Espagne. Le supplice – idéologique – infligé en 2015 au projet du gouvernement grec conduit par Syriza puis sa mise à mort se voulaient sans ambiguïté: «There is no alternative!», le message est le même depuis que Thatcher écrasait les mineurs du Yorkshire.

Les facteurs externes, indéniables, ne doivent pourtant pas occulter les faiblesses propres à cette famille politique constituée au sortir de la Guerre froide sans réel corpus idéologique. Ainsi cette difficulté maladive à bâtir l’unité est trop souvent décrite comme la somme de tares individuelles; elle est aussi l’expression de tâtonnements stratégiques, organiques et programmatiques.

La France insoumise et Podemos incarnent bien la difficulté de la gauche de la gauche à ouvrir sa propre voie sans singer les outrances et le verticalisme des nationalistes ou récupérer le vieux programme keynésien abandonné par les socialistes. Deux expériences qui illustrent aussi la place centrale du débat sur les formes organisationnelles, tant – on le voit – le contenant conditionne le contenu.

Si le projet émancipateur du XXIe siècle est toujours en construction, il ne se réalisera pas sans la gauche de transformation, héritière des idées de liberté, de solidarité internationale, d’égalité et de démocratie portées par les grandes révolutions. D’autant que la bataille entre les prolétaires et le capital est loin d’être révolue, que ce dernier s’incarne dans une usine vietnamienne ou une application high tech. Un projet foncièrement humaniste que l’impératif écologique prolonge et étend aujourd’hui aux générations futures.

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