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Les armes tuent

Transitions

Le 19 mai prochain, on va voter sur un mix regroupant la fiscalité des entreprises et l’AVS mélangées. Derrière, en embuscade, se tient un autre objet: la loi sur les armes. Le referendum lancé par une cohorte d’ardents défenseurs de la chasse, du tir sportif, de l’armée et de notre glorieux patrimoine militaire est tellement déconnecté de ce que prescrit la loi qu’il ressemble à un pétard mouillé (étonnant pour des tireurs d’élite!). En effet, les nouvelles normes concernent principalement les fusils semi-automatiques, dont il s’agit de restreindre l’accès. Mais les tireurs sportifs, qui affectionnent ce genre d’engins, pourront continuer à se faire plaisir avec leur joujou favori pour autant qu’ils démontrent, moyennant inscription dans un registre, qu’ils en font un usage régulier et raisonnable. Pour le reste, la loi n’empêche rien du tout, ni pour les chasseurs, ni pour les soldats, anciens ou actifs, dont le fusil d’assaut est remisé quelque part à la maison, si possible ailleurs qu’à la cuisine ou sous le lit conjugal.

L’enjeu de cette votation, il faut le préciser, est aussi de savoir si on se soumet aux directives de l’UE, à l’origine de cette loi, pour rester partenaires des accords Schengen-Dublin. C’est en ceci que la campagne risque de déraper, en reproduisant un scénario connu, du genre «juges étrangers», réduit national et souveraineté à tous les étages. Est-ce bien la peine de sonner le tocsin et de convoquer Guillaume Tell aux frontières pour conjurer le péril européen? Il serait plus judicieux de s’interroger une fois pour toutes sur la question des armes, leur maniement, leur usage et leurs victimes.

Cent trente morts dans les attentats du Bataclan en novembre 2015 à Paris; dix-sept écoliers abattus en Floride en févier 2019; quatorze élus tués au Grand Conseil de Zoug en 2001 par les balles d’un forcené; trois personnes à Daillon, Valais, en janvier 2013: ce ne sont là que quelques exemples d’une longue liste de massacres. S’y ajoutent les meurtres conjugaux et les milliers de suicides par armes à feu, dont la Suisse détient le record. «Le simple fait d’avoir une arme à disposition et de le rappeler à la famille constitue déjà une forme de violence dont femmes et enfants font souvent les frais», relevait avec pertinence un conseiller national lors du débat au Parlement sur l’initiative «Pour la protection face à la violence des armes». Mettre fin à cette hécatombe, c’est l’objectif des nouvelles directives. Que les opposants, sous prétexte que notre pays n’est pas menacé par le terrorisme, osent prétendre que la loi, «liberticide, inique, inutile, dangereuse et antisuisse», ne sert qu’à embêter des patriotes; qu’ils en arrivent, face à toutes ces vies perdues, à mettre en balance la tradition, le folklore, les abbayes de village ou les fêtes fédérales de tir, c’est tout simplement indécent.

Tout aussi problématique est l’argumentation des référendaires quant à la sécurité. Contrôler et restreindre l’accès aux armes à feu, avancent-ils, c’est laisser le champ libre aux malfaiteurs, jusqu’ici dissuadés par les fusils citoyens. En outre, contrainte de se livrer à des vérifications bureaucratiques pour contrôler les tireurs labellisés, la police ne pourrait plus arpenter le terrain pour débusquer les criminels. On croit rêver! Pire! Les armes sont «un des remparts les plus solides contre l’arbitraire et la violation des droits humains», peut-on lire sur le site internet des opposants. Pour eux, désarmer le peuple, c’est le livrer à la dictature. Dictature? Considérant que les Jair Bolsonaro ou Rodrigo Duterte sont des dictateurs, je constate aussi qu’ils n’ont rien de plus pressé, à peine élus, que d’armer le peuple et d’envoyer des commandos de tueurs pratiquer des exécutions extrajudiciaires. A cet égard, les Etats-Unis offrent actuellement des perspectives effarantes: le progrès a pour nom «Liberator» (tout un programme), une arme à feu réalisée sans contrôle grâce à une imprimante 3D, selon une marche à suivre disponible sur internet. Désormais, la mort peut être téléchargée librement… Décidément non! La sécurité par les armes à feu, ça ne passe pas. C’est un oxymore.

Si nos artilleurs suisses s’en tenaient à la liberté de tirer sur des cibles, au stand, le dimanche, ou sur des chamois quand c’est la saison, on pourrait admettre et il n’y aurait même pas besoin d’un referendum. Mais quand ils hurlent que le Conseil fédéral, sur mandat de Bruxelles, entend démanteler les valeurs ancestrales de la patrie, de la tradition, des droits humains, en désarmant le peuple, on en frémit. Non pas parce que cette perspective est plausible, mais parce que l’invocation d’un tel système de valeurs trahit une vision du monde fondée sur la force, la menace et la violence, même si celle-ci s’exerce symboliquement. Ce n’est définitivement pas la mienne. Je préfère m’armer de confiance, de lucidité, de cohérence et de sagesse.

Ancienne conseillère nationale.
Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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