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D’un code culturel

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Le 23 mars dernier, le canton de Neuchâtel réunissait ses actrices et acteurs culturel.le.s sous les lambris de L’Heure bleue, à La Chaux-de-Fonds, pour discuter des enjeux d’une nouvelle Loi sur l’encouragement des activités culturelles. Ce rendez-vous était l’un des plus importants dans une succession de consultations auxquelles l’Etat avait été incité par une interpellation de la gauche parlementaire.

Tantôt marquées par le mépris tantôt par la méfiance, les relations du pouvoir et des milieux culturels ne vont pas de soi. Rappelons le mot de Huysmans rendant compte de l’Exposition universelle de 1881: «Ce que l’Etat encourage dépérit, ce qu’il protège meurt.» En 1937, dans L’Impromptu de Paris, Giraudoux mettait en scène un fonctionnaire ministériel, délégué au budget, perdu au milieu d’une troupe de comédiens et demandant à Jouvet de lui expliquer en «un quart d’heure le théâtre, ses secrets, ses gloires et ses plaies».

Le danger d’uniformisation que l’empire marchand fait désormais peser sur nos imaginaires a retourné les praticiens de la culture: l’intervention de l’Etat paraît aujourd’hui un moyen d’assurer à l’art sa libre expression.
Avec l’économicisation de notre abord du réel, d’autres arguments – moins idéels – sont apparus: le soutien à l’emploi, la défense d’artisanats rares, le rayonnement, la cohésion sociale, etc.

Neuchâtel ajoute deux motifs spécifiques: d’une part, le souci d’élargir la définition de la culture pour considérer des secteurs nouvellement apparus; d’autre part, celui de faire sa place à la médiation.

On retrouve, là, les ingrédients du tournant des années Lang en France. Faute d’avoir su démocratiser la culture, on en élargit la définition et on professionnalisa l’action culturelle – mouvements qui chez nos voisins s’accompagnèrent, toutefois, d’une sensible augmentation des moyens disponibles.

En sera-t-il de même du côté de Neuchâtel? Le conseiller d’Etat en charge du département de la culture, Alain Ribaux, n’a pu naturellement s’avancer. Pourtant telle fut bien la doléance la plus nettement affichée à La Chaux-de-Fonds, sous la formule d’un pour cent budgétaire consacré à la culture – une exigence d’apparence modeste qui nécessiterait cependant un choix franc des autorités.

Autre fait d’importance, parallèlement aux tables rondes organisées par le département, plusieurs dizaines d’artistes se sont regroupé.e.s au sein d’une association – la Fédération neuchâteloise des actrices et acteurs culturel.le.s – produisant un important recueil de revendications diverses et variées, dont toutes n’ont certes pas le degré de généralité attendu d’une loi, mais qui toutes sont susceptibles d’instruire une politique culturelle différemment administrée, financée et orientée.

Que le Canton de Neuchâtel se donne ou non les moyens d’une attente culturelle qu’il a lui-même attisée, il serait inspiré de conclure d’abord de sa journée du 23 mars qu’un partenaire lui est né et mérite d’être reconnu et appuyé. Face à certaines adresses plus personnelles, M. Ribaux s’était lui-même fendu d’un «ce n’est pas mon canton, c’est notre canton». A raison.
Neuchâtel gagnerait à voir la société civile culturelle organisée s’approprier son devenir, à l’instar du forum culture de la Berne francophone et du Jura (dont nous avions fait état dans ces mêmes colonnes le 27 novembre 2015), plutôt que du Conseil consultatif de la culture genevois.

n accord des volontés à Neuchâtel, dans le Jura, la Berne francophone et, pourquoi pas, le Nord vaudois puis la France voisine, permettrait d’appuyer plus fermement une culture irriguant le territoire en profondeur, mutualisant ses forces tout en s’assurant un rayonnement régulier le long de l’arc jurassien.

L’auteur est historien et praticien de l’action culturelle (mathieu.menghini@lamarmite.org).

Opinions Chroniques Mathieu Menghini

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lundi 8 janvier 2018

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