Chroniques

Grosse commission

L’IMPOLIGRAPHE

Dis Tonton, t’es toujours conseiller municipal en Ville de Genève?
– Ouais, je m’accroche, ils arrivent pas à me lourder…
– Bon, alors tu vas pouvoir éclairer ma lanterne, y a un truc que je comprends pas…
– Dis toujours…
– Alors oualà: j’ai lu dans le journal que la commission des finances du Conseil municipal refusait désormais d’étudier les propositions du Conseil administratif parce que le Conseil administratif refusait de lui transmettre je sais plus quels documents…
– Des audits…
– Des quoi?
– Des audits, des enquêtes, quoi, effectuées sur des administrations pour savoir si elles fonctionnent bien…
– Ah… ouais, bon, alors le Conseil administratif ne veut pas les transmettre à la commission, alors du coup, pour se venger, la majorité de la commission a décidé de ne plus traiter les propositions du Conseil administratif…
– C’est ça. Et alors?
– Et alors, ça me rappelle comme on était avec mes copines dans la cour de récréation de l’école primaire, quand on se défaisait la paix… Mais on avait dix ans, nous… Vous avez quel âge, vous?
– Eh, m’engueule pas! J’y suis pour rien, moi, si y a des conseillers municipaux qui se comportent comme des gogols prépubères… C’est pas dans une commission où je siège, et les gogols, ils sont pas de ma tribu politique…
– N’empêche, t’es dans d’autres commissions…
– Ouais, mais pas dans celle-là, qui se prend pour la commission suprême et dont certains membres se prennent pour les commissaires politiques de toute la Ville…
– Ah bon, c’est une grosse commission, ousque les gogols prépubères, ils ont la grosse tête?
– Ouais, même qu’y en a au moins trois qui voudraient bien se faire élire au Conseil administratif…
– Ça promet…
– Ça promet, en effet: des gens qui ne sont pas foutus de faire leur boulot de conseillers municipaux veulent être magistrats… t’as entendu parler du principe de Peter?
– C’est celui qui dit que toute personne qui exerce une responsabilité finit par atteindre son niveau d’incompétence, c’est ça?
– C’est ça… les mêmes et leurs copains avaient déjà par deux fois refusé d’envoyer le projet de budget de la Ville pour étude en commission, ce qui avait privé la Ville de budget pendant six mois, le temps que le budget proposé par le Conseil administratif soit rétabli par un vote populaire…
– C’est des récidivistes, quoi…
– Disons qu’ils sont atteints d’une sorte de trouble obsessionnel compulsif: dès qu’ils peuvent, ils se défilent devant le boulot pour lequel ils ont été élus et pour lequel ils ont été nommés dans une commission…
– Tu dis toujours «ils? Parce qu’y a pas d’«elles»?
– Y en a, mais ch’uis un vieux cisgenre avec de vieux réflexes genre «le masculin l’emporte»…
– Je vois ça… mais tu sais que ça se soigne? Peut-être que les grosses têtes qui enflent en parasitant une grosse commission, elles peuvent pas se soigner?
– Bof… on pourrait déjà leur rappeler qu’une commission du Conseil municipal ne reçoit jamais de proposition du Conseil administratif, mais seulement du Conseil municipal lui-même… Enfin, quand je dis «oublient», faudrait ajouter «volontairement»: c’est pas de l’amnésie, c’est du déni…
– C’est psychologique, quoi, pas politique…
– Y a de ça… Une sorte de besoin irrépressible de montrer qu’on existe… du prépubère, je te dis… l’âge du «non, j’veux pas»…
– C’est bien ce que je te disais: la cour de récréation de mon école primaire: t’as pas voulu me donner un truc que je te demandais, alors je te défais la paix, bisque bisque rage…
– Ouais, ils boudent. Mais note bien qu’ils pourraient se contenter de boycotter les séances de commission, en laissant celles et ceux de leurs collègues qui veulent faire leur boulot le faire sans eux, seulement voilà: ils y perdraient leurs jetons de présence…
– Ah, tu crois que ça tient à ça?
– Ben, à quoi d’autre? La politique de la chaise vide, c’est pas une stratégie politique ou le moyen de défendre un projet, un programme, des propositions, c’est juste un moyen de se faire remarquer et d’emmerder les autres…
– De toute façon, y a des chaises qui restent politiquement vides, même quand leurs titulaires ont posé leur fessier dessus…
– Comme tu dis. Mais dès qu’ils l’ont posé dessus, ils sont payés, même pour rien foutre… et avec eux, leurs partis sont rémunérés puisqu’une partie des jetons de présence des conseillers municipaux reviennent à leurs partis…
– T’as bien fait d’appeler ça une grosse commission: on y défèque du pognon…
Et c’est ainsi qu’on transforme la commission des finances du Conseil municipal en source de financement de ceux qui l’empêchent de fonctionner… Une sorte de Cercle Fazy-Favon, quoi…
– Well done, old chap…

 

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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