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Le printemps de la démocratie?

Le printemps de la démocratie?
"Le climat n’est plus à nous: il appartient aux jeunes." JPDS
Transitions

Avec le surgissement puissant, dans les villes du monde, des jeunes grévistes du climat, les vieux briscards de la politique se demandent s’ils n’ont pas manqué un virage. Le printemps verdit et la planète s’offre une bouffée d’oxygène. Les médias se délectent de l’apparition fougueuse de la citoyenneté engagée: «les mouvements apolitiques se multiplient et volent de succès en succès», écrivait Yelmarc Roulet dans Le Temps en novembre dernier. Parallèlement, on assiste à la ruée des jeunes sur les listes des partis pour les élections fédérales. «L’émergence de ces énergies, poursuit l’éditorialiste, apporte un souffle bienvenu face à une classe politique tout à la fois polarisée et fatiguée, impuissante à mener les grandes réformes dont le pays a besoin.» Quelque chose, dans ces propos, résonne désagréablement dans ma tête: en tant que politicienne, j’ai horreur qu’on m’enferme dans ce générique infâmant de «classe politique», comme si nous étions une congrégation de magouilleurs. Après des années où il n’y eut de combat, pour moi, qu’entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise, cette relégation en classe annexe est très désobligeante.

Le paradoxe, c’est que plus la politique est mal famée plus elle attire des nouveaux venus. A la lutte des classes s’est substituée celle des places! En automne dernier, quelle ne fut pas ma stupéfaction en découvrant dans la presse cette annonce publicitaire, émanant d’«Opération Libero»: «Nous recherchons, pour octobre 2019, plusieurs conseillères et conseillers nationaux.» Entrer en politique en répondant tout bonnement à une offre d’emploi, voilà qui bouleverse notre conception de l’engagement. Plus besoin de grimpionner dans les partis pour avoir sa place ni d’accomplir avec loyauté les tâches obscures du militant. Juste être «prêt à collaborer avec les forces progressistes de tous bords», et, plus énigmatique, témoigner d’un «degré élevé de patriotisme constitutionnel». Alors ça, ça interpelle! Faudra-t-il entonner l’hymne national chaque fois qu’on va voter? Il y a comme une sorte de chassé-croisé entre les nouveaux «patriotes constitutionnels» qui envahissent les travées des parlements et les endurcis qui clament que la révolution se fera dans la rue. Mais tous semblent annoncer le déclin des partis politiques. Les jeunes grévistes du climat ont d’ailleurs prohibé, dans leurs cortèges, les drapeaux et autres signes d’appartenance partisane, perçus comme des tentatives de récupération. Le climat n’est plus à nous: il appartient aux jeunes. Bien sûr je m’en réjouis. Il n’empêche que les écologistes qui, depuis près de trente ans, harcèlent le pouvoir pour qu’il agisse contre le réchauffement, se trouvent soudain renvoyés à leur propre obsolescence programmée. Ça fait bizarre…

Nous aussi, dans les années 1980, nous avons échafaudé des alternatives avec diverses chapelles maintes fois recomposées. A l’époque, «faire de la politique autrement» était notre credo. Nous nous voulions plus honnêtes et désintéressés, moins dogmatiques, plus proches des gens et surtout moins obnubilés par le pouvoir. La grande affaire, c’était d’occuper l’espace public, en dehors des parlements. Ah! Que nous étions fiers de militer dans la rue et de conspuer les petits arrangements et les grandes compromissions des élus. Mais après avoir, par exemple, bloqué une avenue en y organisant une partie de pétanque pour protester contre le trafic en ville, le bilan était vite fait: efficacité nulle, hormis la satisfaction d’avoir bien rigolé. Il ne nous fallut pas longtemps pour réoccuper la politique institutionnelle. Devenus comme les partis traditionnels? Ostracisés avec toute la «classe politique»? Peut-être… Aujourd’hui, mêmes si les nouvelles formes de militantisme se caractérisent parfois par un jaillissement primesautier, non pas d’idées nouvelles, mais de stratégies innovantes de marketing publicitaire, le fait que des nouveaux venus s’engagent dans un tel cheminement, avec des forces décuplées, est prometteur. Pour autant qu’ils soient habités par une vision, un projet de société. Pour autant, surtout, qu’ils opèrent tôt ou tard une jonction avec la politique.

Même quand le cortège des manifestants est «chaud, chaud, chaud, plus chaud que le climat», il ne suffit pas de le hurler pour changer la destinée de l’humanité et accessoirement de la planète. Ceux qui s’engagent «autrement» devraient être attentifs au fait que le monde de la finance et de l’économie néolibérale, lui, n’aspire qu’à rester le même, sans dévier de sa course au profit. Si nous n’avons plus l’ambition changer le monde ni de prendre le pouvoir, à qui le laissons-nous sinon à ceux qui préparent l’effondrement de notre écosystème?

Ancienne conseillère nationale, l’auteure a récemment publié: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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