Indispensables antibiotiques?
Les antibiotiques, c’est vraiment nécessaire, docteur? Cette question-là, quand on est médecin – et peut-être encore plus en étant pédiatre – on l’entend souvent. Elle est légitime et nous oblige à bien argumenter notre prescription, tout en tenant compte des connaissances actuelles autour des maladies infectieuses.
Les antibiotiques figurent parmi le médicaments les plus prescrits: en Suisse, près d’une personne sur cinq au cours d’une année, et un patient sur deux lors en séjour hospitalier, en recevra. Les trois-quarts de tous les antibiotiques sont utilisés dans des cabinets de premier recours. Il est évident que les antibiotiques ont considérablement changé le pronostic des patients atteints d’infections bactériennes sévères au cours des septante dernières années. Il suffit d’évoquer la streptomycine, découverte en 1943, qui a radicalement changé le devenir des tuberculeux dans cette Europe en pleine guerre, ou le début de l’utilisation, la même année, de la pénicilline, qui a permis de guérir des blessures surinfectées – ce qui était fréquent – mais aussi la syphilis, alors si répandue, et dont les conséquences, en particulier cardiaques et neurologiques, sont terribles. Au côté des vaccins, les antibiotiques ont joué – et continue de jouer – un rôle important pour diminuer la mortalité secondaire à une maladie infectieuse.
Pourtant, les études montrent que, globalement, près de la moitié des prescriptions ne sont pas indiquées, l’antibiotique choisi n’est pas assez ciblé sur le germe à combattre ou la durée du traitement est trop longue. Il s’agit d’un constat alarmant. Et d’autant plus grave que la mortalité et la morbidité consécutives à des germes multirésistants (ne pouvant plus être combattus par les antibiotiques existants) sont en augmentation et ne se limitent plus aux groupes de population dits à risque. On connaît depuis plus de vingt ans les staphylocoques multirésistants hospitaliers, source des maladies nosocomiales. A présent, ce genre de germes se retrouve aussi hors de l’hôpital. L’Inde, qui fait partie des pays où les antibiotiques sont utilisés de manière indiscriminée, est particulièrement touchée par ces germes multirésistants, mais la Suisse n’est pas épargnée. On doit bien comprendre que plus les antibiotiques sont utilisés, plus le risque de résistance devient grand, car les microbes, qui «cherchent» aussi à survivre, vont modifier leur structure et s’adapter.
A travers le monde, les antibiotiques sont beaucoup plus utilisés chez les animaux que chez l’homme. Encore aujourd’hui, aux Etats-Unis, près de 80% de tous les antibiotiques sont administrés chaque année pour l’engraissement des animaux! Et cela, malgré la mise en garde répétée de l’OMS – encore en 2014 – face à la menace d’un «retour à une époque de la médecine où les blessures banales ainsi que les accouchements seraient à nouveau à risque». Selon les estimations de l’OMS, 700 000 personnes décèdent, chaque année dans le monde, d’infections causées par des bactéries résistantes.
Jusqu’à récemment, la découverte de nouveaux antibiotiques permettaient de gagner malgré tout la bataille. Mais le problème, du point de vue de la santé publique, est devenu prioritaire, depuis quelques années, du fait de l’absence de développement de nouveaux traitements. Mais aussi à cause de la globalisation du transport de marchandises et de la mobilité importante de la population à travers le monde: près d’un voyageur sur deux revenant d’Inde ramène des germes intestinaux multirésistants, sans être malade, et près de la moitié des poulets étrangers achetés dans nos supermarchés sont contaminés par ces mêmes germes1>Primary and Hospital Care 2018;18(21):376-380.
Pourtant, la prise de conscience de la gravité de la situation commence à porter ses fruits. En Suisse, l’utilisation des antibiotiques pour l’engraissement animal est interdite depuis vingt ans déjà, et les antibiotiques prescrits en prévention sont interdits dans le domaine vétérinaire depuis 2016. Les médecins sont rendus attentifs à l’usage prudent et bien ciblé de ces médicaments: à ce titre, la jeune génération est nettement plus sensible à cette problématique, ce qui est réjouissant. La surveillance des germes multirésistants est bien organisée en Suisse et en Europe en général.
En conclusion, et en pleine épidémie de grippe, il est donc bon de se rappeler que plus de 90% des bronchites, sinusites, angines et otites sont virales et que le corps est la plupart du temps en mesure de se guérir seul. Et puis mangez «local» et réfléchissez avant de voyager loin – y compris aux Etats-Unis: c’est mieux pour la planète et pour votre santé!
Notes
* Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.