Chroniques

Trumpus

En coulisse

Que dire sur Donald Trump qui n’ait déjà été dit? Les récentes révélations de son ex-avocat Michael Cohen confirment ce que nombre d’analystes avaient déjà écrit: l’homme est non seulement un raciste patenté, un nabab dédaigneux, mais aussi un politicien médiocre qui ne croyait pas vraiment à ses chances de devenir président. Il s’agissait avant tout, via cette campagne censée être perdue d’avance, de satisfaire un besoin égotique et économique en augmentant la notoriété de la marque Trump.

Seul un petit quarteron d’extrémistes de droite, après avoir eux aussi sérieusement douté du sérieux du candidat, ont réfléchi aux moyens de transformer l’essai. Ainsi le journaliste Bob Woodward raconte-t-il dans son livre Fear les premières sollicitations faites à Steve Bannon, obscur agitateur crypto-fasciste, en vue d’aider Trump à ne pas se crasher trop lamentablement au cours de la campagne.

Bannon, après avoir lui aussi cru que la candidature de Trump relevait de la science-fiction dont il était coutumier en tant que producteur de cinéma (il avait entre autres envisagé de produire une version spatiale de Titus Andronicus de Shakespeare!), se mit à considérer l’éventualité d’une présidence Trump. Il constata la terrible ignorance du candidat sur tout ce qui concernait la politique en général et les subtilités du système américain en particulier. Son côté capricieux et sa propension à l’improvisation constante le rendaient encore plus vulnérable. Sauf si, de cette faiblesse, on faisait une force.

Et c’est là-dessus que Bannon tabla pour que Trump ait toujours une longueur d’avance, tant pendant la campagne qu’une fois parvenu au pouvoir. Il s’agissait, à l’inverse de ce que préconisaient la plupart de ses ministres et conseillers, non pas de mettre de l’eau dans son vin, mais bien de continuer à suivre ses penchants naturels à l’improvisation généralisée et aux mensonges assumés afin de toujours surprendre et déstabiliser l’adversaire. En politique, la surprise est une arme de taille. Même si, pour toute conscience raisonnablement constituée, la rhétorique et la politique trumpiennes sont des insultes à l’éthique et à l’intelligence, force est de constater que le stratagème a plutôt bien fonctionné.

Evidemment tout ceci n’aurait pas été admissible pour un candidat issu du peuple. Si l’accident Trump a été possible, c’est bien parce qu’il se déroule dans un monde – et dans un pays en particulier – où la richesse matérielle demeure la valeur étalon, malgré tous les poncifs politiciens autour de la démocratie, de l’égalité des chances et autres attrape-nigauds. Les rapports sociaux demeurent marqués par les mêmes béances qu’à l’Antiquité. Une compagnie de théâtre new-yorkaise a récemment suscité le scandale en peignant Trump sous les traits de Jules César dans la pièce de Shakespeare. Mais c’est plutôt du côté d’un autre personnage historique, contemporain de César, qu’il faudrait chercher une ressemblance partielle avec Trump: Crassus.

Crassus exploitait le ressentiment du peuple et maniait une rhétorique populiste avant la lettre

Crassus était issu d’une famille richissime depuis plus de cinq générations. Marchand d’esclaves, créancier principal de toutes les grandes familles romaines, commerçant aux activités multiples, il était l’homme le plus riche de Rome. Mais cela ne suffisait pas à sa gloire, il voulait le pouvoir. Crassus n’eut aucune peine à rentrer dans le jeu politique et à commander des légions. Son fait d’armes le plus connu est l’écrasement sans pitié de Spartacus et des esclaves révoltés, massacrés, torturés et crucifiés jusqu’au dernier. Le symbole politique est d’une limpidité terrifiante: l’homme le plus riche de la puissance impérialiste (et non pas impériale, car Rome était alors une république!) conquiert ses galons de commandant victorieux en éradiquant les plus pauvres parmi les pauvres, à la révolte ô combien justifiée.

Mais la cruauté de Crassus touchait aussi les classes romaines subalternes, puisque, pour punir une de ses légions qui avait fui devant l’ennemi, il n’hésita pas à pratiquer la décimation – faire tuer au hasard un légionnaire sur dix.

Crassus s’appuyait en priorité sur la plèbe romaine pour parvenir à ses fins politiques. Fustigeant dans ses discours les familles patriciennes dont il était pourtant issu, il exploitait le ressentiment du peuple et maniait déjà une rhétorique populiste avant la lettre contre les élites mensongères! Grisé par sa soif de conquête, Crassus entreprit une guerre malheureuse contre les Parthes et se retrouva prisonnier de leur roi. Celui-ci lui infligea la mort la plus cruelle et symbolique qui soit: il fit fondre de l’or et l’obligea à avaler le métal liquide et bouillonnant! L’Histoire peut être parfois morale. Mais notre monde l’est-il encore?

Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler En coulisse

Chronique liée

En coulisse

lundi 8 janvier 2018

Connexion