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Vers des campagnes silencieuses…

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Un ami d’enfance m’avait fait découvrir le silence d’une «vallée des papillons» au sud des Alpes, où ne vivaient presque pas d’oiseaux. En contrepartie, on y voyait plein d’insectes, dont des papillons rares ailleurs. Plus tard, j’ai découvert un silence comparable au Groenland, dans un fjord où l’on n’entendait que les bruits des glaces et ceux que l’on faisait, battements du cœur compris. Ces silences inquiétants de rares milieux sans oiseaux étaient un avant-goût de ce qui nous attend hors des villes. A un détail près: le silence des oiseaux disparus n’est qu’un symptôme du désastre définitif que trois générations de notre espèce font subir à l’environnement qui nous a fait naître, et sans lequel les humains disparaîtront.

Le déclin de la plus grande partie des populations d’oiseaux sauvages résulte de la combinaison d’une déforestation irresponsable de longue date, de pratiques agricoles industrielles sans scrupules et d’activités humaines incompatibles avec leur survie. Au contraire de la vallée des papillons évoquée, l’absence d’oiseaux des campagnes ne provoquera pas de pullulation d’insectes. La disparition des insectes la précède, causée par les poisons «phytosanitaires» de multinationales de la chimie avides de profits rapides irresponsables.

La nourriture des oiseaux, insectes et graines en particulier, est devenue rare ou toxique, ou les deux à la fois. Pourtant, depuis près d’un siècle, les chaînes alimentaires qui concentrent les produits toxiques sont bien connues: les mangeurs de plantes, insectes entre autres, concentrent les produits répandus sur les végétaux. Les prédateurs des insectes, dont les oiseaux, les concentrent à nouveau et les «super-prédateurs» qui mangent ces prédateurs, comme les rapaces, ont été les premières victimes des empoisonnements agricoles.

Aujourd’hui, les mangeurs de plantes et d’insectes disparaissent à leur tour, victimes des «progrès» de l’agriculture chimique. Celle-ci savonne aussi la planche sur laquelle elle est en déséquilibre en détruisant les pollinisateurs, la faune et la flore des sols, indispensables à de nombreuses plantes.

Plus de la moitié des humains vit dans des villes, dans l’ignorance de la destruction des milieux naturels dont elle dépend par l’agriculture et la pêche intensives, quand ce n’est pas par des pollutions incontrôlées et des «accidents industriels» criminels. Les gens des villes ne voient que les espèces résistantes et invasives qui profitent de l’expansion des niches écologiques urbaines et de la disparition des autres espèces. Les pigeons, les corneilles, les moineaux, les souris et les rats, bien sûr, mais aussi les goélands, les mouettes et les cormorans, qui ont envahi les rivières et les villes par les dépôts d’ordures.

Au sud, d’autres espèces s’ajoutent aux vautours sur des montagnes de déchets. Chez les insectes, les moustiques, les mouches, les cafards, les punaises de lit ou les coccinelles asiatiques masquent aux citadins l’effondrement campagnard des abeilles et de centaines d’espèces indispensables des chaînes alimentaires naturelles ou agricoles traditionnelles.

Ce n’est pas par la création, ici ou là, de réserves naturelles minuscules et de cercles vertueux de consommateurs responsables que l’on fera reculer, avant la catastrophe, les empoisonneurs des sols, des plantes, des abeilles et des oiseaux, qui forcent des agriculteurs soumis à utiliser leurs poisons. Le tout pour des profits à très court terme préparant la désertification des terres d’agriculture intensive. Pas plus qu’on n’arrêtera la surpêche industrielle en faisant la morale du développement durable à ses initiateurs.

Néolibéralisme et multinationales hors les lois imposent à des politiques soumis leurs profits à court terme. Aux dépens de la gestion durable des patrimoines naturels productifs nécessaires à nos nombreux descendants. Il reste à savoir quand et où explosera la catastrophe en cours, et quelle révolution politique improbable en limiterait les effets…

* Chroniqueur énervant.
In memoriam: revue Drosophile n° 21: Les Oiseaux.

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lundi 8 janvier 2018

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