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Genève: non à la loi de la discorde

En coulisse

De tout temps, l’être humain s’est interrogé sur les raisons de son existence terrestre, son origine, son sentiment de vertige face à l’immensité cosmique, le destin de ses proches disparus, son propre destin après la mort, etc. Dans les moments de souffrance, de deuil, de perte, de guerre, le recours à la spiritualité s’avère pour nombre de nos contemporain-e-s un élément primordial permettant de puiser des forces nécessaires à la survie. En temps de paix, il peut aussi constituer une boussole, un référent à la fois singulier et pluriel, personnel et commun. Les religions sont, suivant les circonstances, instruments d’oppression ou de libération, d’avilissement ou d’élévation. Elles se sont constituées en cultures. Selon l’Unesco, «la culture englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances».

Le 10 février, les Genevois-e-s seront amené-e-s à se prononcer pour ou contre la loi sur la laïcité de l’Etat, bombe à retardement enclenchée par Pierre Maudet, du temps de sa superbe, et désormais prête à l’allumage. Malgré les casseroles qui suivent le conseiller d’Etat et l’ostracisme dont il fait l’objet dans son propre camp, son parti entend bien le suivre sur ce terrain et soutenir cette loi qui aura comme conséquence directe – entre autres – de sortir de la fonction publique les femmes musulmanes qui porte le hijab. Malgré les petits meurtres entre amis, les grands principes rassemblent toujours à droite.

Alors que la paix civile et religieuse fonctionne parfaitement en Suisse, Genève deviendrait, si la loi passait, le canton le plus répressif en matière de liberté affichée de croyance. Cette loi serait un facteur assumé de division entre les citoyen-ne-s, plus gravement encore que la fameuse loi sur les minarets fomentée par l’UDC. Quel besoin Genève a-t-elle de se doter d’une loi qui divise, quand les lois actuelles fonctionnent et garantissent la paix publique? Se pose la question du sempiternel bouc émissaire, sorti toujours opportunément du chapeau pour faire oublier les turpitudes ponctuelles et les agendas politiques vaseux.

On laissera les lectrices et lecteurs tirer leurs propres conclusions sur le plan de la manœuvre politicienne locale et on regardera avec une certaine circonspection de l’autre côté de la frontière. En France, les lois sur le voile votées sous le gouvernement Chirac au début du XXIe siècle ont profondément fracturé la société. Les successeurs immédiats de Chirac – Sarkozy et Hollande – ont largement continué à creuser le fossé en portant une idée dévoyée de la laïcité dont le but premier était l’humiliation des musulman-e-s sur fond d’inconscient colonial et de défense de l’élite économique, bien loin de la laïcité originelle voulue par Jaurès et du combat équilibré d’Aristide Briand.

A Genève, quelques individus marginaux se prétendant de gauche radicale ambitionnent d’importer l’actuel modèle français sur notre territoire. Ils ont les yeux de Chimène pour «El Blanco» Manuel Valls, leur maître à penser. Ils sont rejoints dans leur islamo-paranoïa obsessionnelle par les séides de l’extrême-droite locale. Au-delà de ces nébuleuses saumâtres, c’est bien le gros des votant-e-s qui risquent de se faire happer par la propagande mensongère opposant un pseudo-progressisme démocratique au supposé archaïsme religieux et en particulier à son volet musulman. Il convient donc de rappeler les fondamentaux du respect et de la tolérance dans ce qu’ils ont de plus évident et essentiel.

A l’heure du flou idéologique, du racisme sournois et de la manipulation des masses passée en art suprême des puissants, la question de la cohabitation respectueuse et non coercitive entre croyants et athées (dont fait partie l’auteur de ces lignes) s’avère un enjeu fondamental. Dire non à une loi qui utilise de manière tronquée la notion de laïcité revient à faire acte d’amour, de confiance et de solidarité envers autrui. Les murs et les divisions sont suffisamment nombreux sur cette planète pour que Genève n’y ajoute pas sa pierre.

Dominique Ziegler est auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Ombres sur Molière, tournée CH/FR par le Théâtre de Carouge (GE), jusqu’au 2 mars 2019, tcag.ch/le-theatre/les-tournees-1819

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lundi 8 janvier 2018

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