On nous écrit

Le fascisme rampant de l’homme numérique

Selon François de Bernard, nous avons atteint l’ère de l’accomplissement de la démocratie numérique.
Société

Qu’y a-t-il de commun entre ce qui advient aux Etats-«Unis» de Trump, au Brésil de Bolsonaro, dans l’Italie de Salvini, et ce qui se fraie un chemin ailleurs? Beaucoup répondent: on le sent bien (d’où cela vient) et on le voit (venir)! Pour ma part, je formule une thèse intempestive, susceptible de rendre raison autrement de ce qui se déploie sous nos yeux. Cette thèse serait d’abord que tout cela, guère étonnant aux yeux d’un-e lec-teur-trice de la «montée des périls» des années 1930, n’aurait pu advenir ainsi, avec la simultanéité observable, sans la réunion d’un certain nombre de conditions technoscientifiques qui en favorisèrent la diffusion dite «virale».

A quoi sommes-nous confrontés, en effet? Des machines désirantes post-citoyennes se mettent en branle sur tous les continents, elles s’émancipent soudain comme l’ordinateur HAL de 2001, l’Odyssée de l’espace, puis s’emballent, grisées par la possibilité d’un dissensus inouï (?), grâce à l’exponentielle diffusion, démultipliée sans frein ni contraintes, de revendications produites en réponse à la défection des acteurs «référents» politiques, sociaux, intellectuels et médiatiques.

Toutes les dérives et contre-vérités de M. Trump furent ainsi exhaussées par les «réseaux sociaux». Tous ses mensonges et dérapages sont amplifiés par les hommes et femmes du ressentiment contemporain, qui se servent de leurs prothèses numériques comme d’armes de destruction massive. Utilisateur hors pair de la gâchette Twitter, le roi Donald balise la voie idéale pour les dictateurs de l’époque, qu’ils aient fait leurs preuves comme Duterte, Orbán, Erdogan, Maduro, Kim Jongun, Poutine et Xi Jinping, ou qu’ils n’en soient qu’au début de leur parcours d’éradicateurs, tels «MBS» [le prince saoudien Mohammed ben Salmane], Salvini et Bolsonaro. Tous ces braves gens, qui se reproduiront comme des lapins lors des années à venir, ont vocation à se rallier, se coordonner et multiplier les complicités effectives, au-delà des divergences de façade (cf. MBS-Trump-Erdogan) qui ne peuvent faire illusion.

Hélas! Beaucoup d’Européens rejoignent dans la haine de l’autre les légions étasuniennes du Middle West, des friches industrielles, celles de Pegida en Allemagne, de UKIP en Grande-Bretagne et de la Ligue en Italie, vouant aux gémonies les migrants comme l’UE, coupables de tous les maux. Tous fantasment à la mode bolsonarienne les complots et exécutions sommaires qu’ils appellent de leurs vœux, dans l’attente impatiente d’élire de nouveaux représentants recrutés pour leur habileté à couper les têtes et détruire par avance tout dialogue possible sur l’avenir écologique, l’urgence climatique, la culture de la paix…

Ce rejet multilatéral, ce fascisme rampant devient ainsi l’emblème transnational d’une pauvreté portée à son stade suprême. Une pauvreté externe croissante et tangible, résultant en particulier de décennies de politique économique néolibérale involutive (à laquelle tous nous contribuâmes), qui se combine avec une pauvreté interne propre au discours des acteurs concernés, ainsi qu’avec la pauvreté volontaire, intrinsèque à des outils numériques qui ne servent qu’à la propager toujours plus violemment.

Le songe de la Raison produit des monstres, titrait Goya l’un de ses plus éloquents dessins. Voilà exactement «ce qui arrive». En effet, depuis trois décennies nous avons fabriqué à marches forcées un homo numericus dont les produits dérivés aussi ambitieux que délectables sont une démocratie numérique (?), et même une République numérique (!) rêvées à l’unisson par les technocrates européens comme par tous les tyrans de la planète. Ne nous étonnons donc pas d’en contempler enfin l’accomplissement. Unissons plutôt nos forces pour bâtir ensemble allègrement au son du clairon la nouvelle République numérique trumpienne, bolsonarienne et salvinienne, qui règlera tous les problèmes de l’Humanité par l’élimination physique, symbolique et mémorielle des trois quarts d’une population devenue surnuméraire.

François de Bernard,
Iconoclaste, derniers essais parus: L’Homme post-numérique et Pour en finir avec la civilisation, éd. Yves Michel

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