Chroniques

Le jour d’après l’effondrement

Transitions

Un jour il n’y aura plus d’oiseaux, plus d’éléphants ni de salamandres; un jour, les cultures seront brûlées par les étés sans fin; les arbres, bannis de leurs forêts primaires, périront dans des incendies fulgurants; un jour, les pauvres du monde entier seront en état d’insurrection face à des militaires déchaînés; un jour, la finance en folie explosera en vol et le bateau ivre de l’économie affrontera la tourmente provoquée par la défection de la main invisible des marchés; un jour, les mines de cobalt ou de terres rares, grattées à main nue par des quasi esclaves congolais ou chinois pour fabriquer nos téléphones ou nos voitures électriques seront taries, abandonnées béantes comme une ville éventrée par les bombes; un jour, les humains hyperconnectés au monde virtuel autant que déconnectés du système-Terre erreront, hagards, quand leur support numérique aura disjoncté. Oui, je sais: ça commence mal pour une chronique de l’Avent. Ce n’est pourtant pas la grisaille de novembre qui m’inspire ces sombres prédictions, mais les propos de quelques auteurs qui ont entrepris de nous expliquer dans des livres que tout va s’effondrer. Les chercheurs ont même recours à une science nouvelle pour étudier les conséquences de cette probable implosion: la collapsologie.

Effondrement? Peut-être, mais de quoi? Certains évoquent la fin de notre société industrielle, d’autres celle de notre civilisation occidentale, mais tous font mine de vouloir nous rassurer en rappelant que bien d’autres civilisations se sont déjà écroulées, l’empire romain, les civilisations précolombiennes, et que, Dieu merci, nous avons survécu. Or aujourd’hui, avec l’interconnexion mondialisée des facteurs écologiques, économiques et sociaux, le risque est devenu systémique: l’effondrement d’un élément peut entraîner les autres vers un désastre global. Le travail de sape systématique conduit par notre espèce prédatrice est incompatible avec la mécanique subtile des régulations et des patients ajustements qui caractérisent notre environnement naturel.

Parmi nos contemporains, certains, pressentant l’approche du crépuscule, se comportent comme à la fin des vacances: derniers jours pour se la couler douce, griller le fric qui reste, faire bombance et se bronzer une dernière fois au soleil des tropiques… Après, ils remettent le couvercle et s’enfoncent dans un quotidien savamment opacifié pour étouffer l’angoisse du vide vers lequel nous courons. Plus méticuleux, les survivalistes engrangent des provisions et se barricadent dans leurs retranchements fortifiés. Les plus courageux et les plus entreprenants, poussés par une cohorte d’optimistes impénitents prêts à tout pour sauver leurs affaires, s’efforcent de croire encore qu’une transition vers de nouvelles technologies nous tirera de ce mauvais pas. Cette fois, ce n’est pas sûr que ça marche car nous avons peut-être dépassé le point de non-retour.

Il reste une question qui me turlupine: si tout s’effondre, que se passera-t-il le lendemain? Y aura-t-il encore quelqu’un pour remuer les décombres? Et si nous sommes quelques-uns à survivre, allons-nous nous entretuer pour le dernier morceau de pain ou le partager? Et s’il n’y a plus rien? Le 27 novembre 2018, le robot InSight s’est posé sur Mars. «Il mesurera les signes vitaux [de cette planète], tels que son pouls, sa température et ses réflexes», expliquent les scientifiques de la NASA, comme s’ils parlaient d’un organisme vivant. Son passé éclairera notre futur, espèrent-ils. Notre futur? Si les humains ont disparu de la planète Terre, deviendra-t-elle à son tour un terrain d’observation pour des extraterrestres curieux de dénicher des indices de qui nous fûmes? Cherchant dans le sous-sol des traces de nos océans asséchés, ils risquent de tomber sur les tonnes de déchets radioactifs que nous y avons enfouis pour cent ou deux cent mille ans. Il faudrait les avertir de ne pas y toucher. En revanche, avec un peu de chance, ils découvriront une banque sanctuarisée dans laquelle dorment les semences pieusement collectionnées par des amoureux fous de la vie et de la biodiversité. Peut-être tenteront-ils de les remettre en terre. Sinon notre planète trouvera par elle-même le moyen de les ramener à la vie.

Ces perspectives ne sont finalement pas si catastrophiques qu’on pourrait le croire. Divers mouvements écologistes et humanistes appellent même de leurs vœux une «apocalypse heureuse», convaincus qu’elle engendrera une humanité nouvelle, plus altruiste, plus consciente de ses interdépendances, plus respectueuse d’elle-même et de l’environnement, plus humble face à la force indomptable de la vie. Je partage cet optimisme. Avant ou après l’effondrement, le printemps refleurira.

* Ancienne conseillère nationale. Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, avril 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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