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Le Plaza, Maudet et l’utilité publique

L'Impoligraphe

J’ai hésité un moment entre deux sujets, avant de vous balancer cette chronique. Allais-je vous causer de Pierre Maudet ou du Plaza? Finalement, devant l’impossibilité de choisir l’un ou l’autre objet, et donc de renoncer à l’autre ou l’un, je vais vous causer des deux à la fois. Vous me direz sans doute: y’a aucun rapport entre les deux! Erreur de jugement, trouble de perspective. Démonstration:

Jeudi dernier, le Parti socialiste genevois a déposé au Grand Conseil un projet de loi déclarant «d’utilité publique» le maintien de la plus belle salle de cinéma de Genève, le Plaza, vu les menaces de démolition pesant sur cette salle, vu aussi le soutien massif à sa préservation (plus de 11 000 signatures au bas d’une initiative populaire demandant elle aussi l’«utilité publique» du maintien du Plaza et plus de 10  000 signatures au bas d’une pétition demandant de suspendre l’autorisation de le démolir).

Intervenir pour empêcher la démolition du Plaza, que des dizaines d’architectes et de défenseurs du patrimoine considèrent comme un élément marquant de l’architecture des années cinquante du siècle dernier, incontestablement digne d’être préservé, relevait de l’urgence. Le PS a donc demandé que son projet de loi soit traité en urgence. Que croyez-vous qu’il se passa alors? Dans un vote gauche contre droite bien clivé, bien cohérent, bien visible, la droite unanime et majoritaire a refusé de traiter le projet en urgence, la gauche, elle aussi unanime, mais minoritaire, le demandant. Pas un dissident à droite pour refuser de soutenir le propriétaire démolisseur et le Conseil d’Etat aux abonnés absents de la protection de ce patrimoine – et du maintien d’un lieu culturel dans un quartier qui en manque. Tous, à droite, partisans de le démolir. Et de construire à sa place un centre commercial dans un quartier qui en compte déjà trois, et un parking dans un quartier qui en compte une demi-douzaine. Et, s’agissant des députés, d’abandonner leur capacité de proposer un projet de loi – ce qui convient parfaitement au Conseil d’Etat qui revendique pour lui seul (même dans l’état où le met Maudet) le droit de déposer un texte déclarant l’utilité publique d’un objet tel que le Plaza, alors que la capacité de déposer un projet de loi est, à Genève (voilà une genevoiserie qu’on aimerait voir célébrée), accordée aux députés eux-mêmes par la constitution. Les députés de droite vont-ils renoncer à ce qui fait d’eux des législateurs au plein sens du terme? C’est bien dans un vote gauche contre droite (majoritaire) que le Grand Conseil a refusé de traiter le projet de loi en urgence, et donc de le voter «sur le siège».

Et c’est là qu’on retombe sur Maudet. Le PS genevois a déposé un projet de loi déclarant l’utilité publique du maintien du Plaza; il aurait peut-être mieux valu que le PS dépose un projet de loi déclarant d’utilité publique le maintien de Pierre Maudet au Conseil d’Etat et son classement au patrimoine, quitte à le faire racheter par la cagnotte du Cercle Fazy-Favon… Les députés radicaux auraient certainement voté pour. Les députés libéraux aussi, d’ailleurs. Parce qu’on ne voit pas comment le PL+R arrivera autrement à se sortir de la gonfle dans laquelle son prodigieux prodige l’a mis. Lui-même d’ailleurs ne sait plus comment s’en sortir: le mardi, sa direction se convainc que le parti explosera s’il continue à soutenir Maudet; le vendredi, la même direction se convainc qu’il implosera s’il cesse de le soutenir; le vendredi suivant, Maudet est convoqué devant le parti suisse, mais 140 membres du parti genevois obtiennent la convocation d’une assemblée générale cantonale pour décider du sort du chef; avant que la direction décide que cette assemblée ne décidera rien du tout, avec cette argumentation béton: «une assemblée générale n’est pas faite pour trancher des décisions politiques». Elle est faite pour quoi, alors? Oui, bon, d’accord, c’est une question de socialo, ça.

N’empêche: Maudet, dans le paysage politique genevois, il a pris la place du monument Brunswick sur les quais. Il ne sert plus à rien, le monument Brunswick, mais il est classé, lui. Alors pourquoi pas Maudet, hein?

Au moins, le Plaza, il pourrait servir à quelque chose si on le maintenait. Mais lui, on se prépare à le démolir. Parce qu’un lieu culturel, un cinéma, un espace polyvalent, on n’en a rien à foutre. On préfère un centre commercial et un parking. Et un conseiller d’Etat qui traîne plus de casseroles qu’on ne pouvait en trouver chez Girard aux Grottes. Pas loin de l’Escobar, vous voyez?

Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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