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Bouger, oui. Mais pas n’importe comment!

À votre santé!

Récemment, j’ai vu en consultation une charmante petite demoiselle de 9 ans amenée par sa mère pour un contrôle général, et aussi «parce qu’elle fait beaucoup de sport» et «pour être sûre qu’elle ne manque de rien». C’est là que j’ai appris qu’elle faisait entre 20 et 22 heures de gymnastique artistique par semaine et que son lieu régulier d’entraînement était à quelque 20 minutes de son lieu de vie. Je dois dire qu’elle allait bien. Sa mère m’a dit que «c’était elle qui voulait faire du sport et qu’elle réussissait bien», ce que la fillette n’a pas contredit. Et quand il s’est agi de discuter d’un rattrapage vaccinal à faire, la mère a préféré reprendre rendez-vous, car elle ne voulait pas que cela risque de diminuer les performances de sa fille, puisque celle-ci participait dans les semaines à venir à une sélection nationale. Et à la question: «Vous ne pensez pas que c’est trop?» la réponse fut: «Vous savez, la compétition dans cette discipline s’arrête à 18 ans.»

Cela faisait écho à une autre jeune fille du même âge que les parents m’avaient amenée plusieurs fois pour fatigue, maux de ventre et céphalées. J’avais largement investigué le cas de cette jeune fille, sans rien trouver de somatique; cette dernière faisait, elle, environ 15 heures par semaine de sport en club. La mère insistait encore il y a quelques jours pour que l’on continue à chercher le pourquoi des maux de sa fille.

Cela m’a rappelé une autre histoire d’il y a quelques années concernant une autre jeune fille – tiens, ce sont toujours des filles! – qui, à 12 ans, en plus de l’école, menait une vie de compétition à la fois en patin et en ski. Elle avait régulièrement mal à une cheville et on avait mis en évidence une maladie de la croissance osseuse: elle a eu des traitements manuels et même une intervention chirurgicale, sans arrêter la compétition sauf par courtes périodes parce qu’elle «y était tellement attachée» – avant de tout lâcher à l’âge de 15 ans, dans un moment de crise existentielle intense.

Il ne s’agit pas de remettre en cause le bien-fondé de bouger dans une société trop sédentaire ni même de discuter l’apport du sport dans l’équilibre de l’enfant et de l’adolescent. C’est ainsi qu’il est important d’encourager le mouvement sous de multiples formes telles que les jeux extérieurs entre copains, l’éducation physique scolaire, mais aussi les activités physiques en famille. On insiste aussi de plus en plus pour que les trajets école-maison se fassent à nouveau plus à pied, en trottinette ou à vélo, autrement dit que le fait de bouger soit intégré à la vie quotidienne routinière. Il faut pourtant essayer de définir des lignes rouges à partir desquelles le risque de la pratique sportive vient en contrebalancer le bienfait. Et c’est bien à l’adulte de mettre des limites, car l’enfant, et même l’adolescent, surtout si l’on reconnaît ses performances, ne saura pas les définir.

La plupart des spécialistes s’accordent sur le fait qu’il est mieux de faire du multisport, au moins jusqu’à 10-12 ans. L’Association canadienne des entraîneurs recommande par exemple que les enfants commencent à pratiquer un sport de compétition qui leur convient vers l’âge de onze ans. Elle rappelle que les enfants apprennent mieux dans un environnement libre de stress et que les jeunes de moins de 11 ans sont encore en train de développer leurs aptitudes. Il est de même admis que la pratique d’un seul sport plus de 10 heures par semaine justifie probablement un suivi médical et doit être assimilée à un entraînement compétitif. Il est aussi largement reconnu que l’approche interdisciplinaire de l’évaluation des jeunes qui font du sport à ce niveau, surtout s’il y a une plainte médicale, est préférable: autrement dit, replacer les jeunes sportifs dans leur contexte développemental, mais aussi dans leur environnement familial et social.

Et moi, quand je pense à mes trois patientes, je me demande quand elles ont le temps de rêver, de «glander» comme disent parfois les parents, de prendre du temps juste pour être avec leurs copines et copains. Elles ne cessent d’être dans le «faire» et sous le regard d’un adulte qui les pousse – même si cela peut être fait sans malveillance – à la perfection.

Il y a quarante ans, on critiquait les pays de l’Est – en particulier l’Allemagne communiste d’alors qui raflait souvent de nombreuses médailles aux Jeux olympiques – parce que les athlètes performants étaient repérés très tôt et admis dans des académies de sport presque dès l’entrée à l’école.

Ne sommes-nous pas sur le chemin d’agir de manière similaire, même si c’est davantage centré sur l’individu?

Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer,ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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