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Egalité? Oui mais non

Egalité? Oui mais non
20’000 personnes ont participé à la manifestation pour l'égalité et contre la discrimination salariale des femmes le samedi 22 septembre dernier. JPDS
Transitions

C’est beau une manif quand vingt mille personnes se rassemblent pour réclamer l’égalité entre femmes et hommes! Avant le départ du cortège, on s’embrasse, on se congratule, on se bouscule, on vocifère, on rigole, on applaudit, on brandit très haut les pancartes et les banderoles en direction du train qui salue la foule d’un long sifflement. C’est bigarré, festif et joyeusement cacophonique. Les discours disent la colère et l’impatience des femmes, mais sous le soleil on se sent plutôt envahi par la force radieuse de la solidarité. Le samedi 22 septembre, c’est un message puissant contre les discriminations persistantes qui fut lancé, afin que le lundi, impressionnés par une telle détermination, les parlementaires fédéraux adoptent en tremblant la modification de la loi sur l’égalité soumise à leur grande sagesse.

Mais quelle disproportion entre les humeurs impétueuses de la rue et les langueurs de l’hémicycle! De ce qui se hurle dehors ne subsiste dedans qu’un discours civilisé, un langage en tenue de ville, formaté pour pénétrer les oreilles délicates des élus mâles et conservateurs. On leur répète avec douceur que ce projet de loi n’est en rien féministe: il est juste raisonnable. De ce débat n’émergera finalement qu’une obligation, pour moins de 1% des entreprises et limitée dans le temps, de faire rapport sur leur politique salariale et les inégalités éventuelles. Une analyse ne comportant aucune sanction. Durant les huit ans que j’ai passés à Berne, et, bien avant moi, pendant une trentaine d’années, des élues combatives se sont relayées, session après session, pour exiger des mesures, dont ce fameux gender reporting dont il est question aujourd’hui. En vain: c’était toujours trop! Aujourd’hui, l’adoption de cette loi prend, dit-on, une valeur symbolique. Certains et certaines lui attribuent même une portée historique. Pourtant la majorité bourgeoise s’est ingéniée à dépouiller, feuille après feuille, le projet du Conseil fédéral, jusqu’à ce résidu dépourvu de consistance.

C’est comme si, pour fermer le caquet des victimes d’accidents de la route, on chargeait un bureau d’analyse (pas la gendarmerie: la loi ne veut pas d’une «police de l’égalité salariale») d’établir des rapports périodiques sur les excès de vitesse des automobilistes. Mais seulement les grosses cylindrées, parce que les petites voitures sont moins portées à ce genre de comportement. Punir ceux qui ne respectent pas la loi? Non! Juste les inciter poliment à se montrer plus disciplinés. Les rapports seront communiqués aux usagers de la route, qui s’en trouveront sans doute réconfortés…

L’égalité, tout le monde la veut, tout le monde la promet, tout le monde l’attend. Mais à force d’être trituré, le projet ressemble plutôt à une baudruche dégonflée, un chiffon usagé et flasque. Pour les élus UDC et la majorité des PLR, le nouveau slogan pourrait être: «Egalité oui, mais non!». De toute manière, il n’y a pas de discriminations, tout au plus des différences, expliquent-ils. En effet, les salaires ne dépendent pas d’un barème: ils se négocient de personne à personne. Dans ces conditions, être astreint à une analyse, pour les entreprises, c’est trop contraignant, trop cher, trop bureaucratique. Dix-huit millions que ça leur coûterait, paraît-il. Et ceci pour quelques centaines de francs qui manqueraient aux employées à la fin du mois juste parce qu’elles sont femmes? Des peanuts! Oserais-je leur suggérer une solution simple pour s’épargner ces tracas: verser cette somme directement aux salariées.

En revanche, la mesure que le camp bourgeois semble trouver nécessaire et urgente pour favoriser l’émancipation et respecter les droits des femmes, c’est d’interdire le voile intégral. Il est nettement plus économique de soustraire une petite poignée de musulmanes exotiques à leur mâle dominant que de s’atteler à la lutte contre les discriminations salariales, sociales, sexuelles qui touchent la moitié de l’humanité. De toute façon, pour les droits des musulmanes comme pour l’égalité des salariées, c’est encore oui, mais non!

Les femmes de ma génération se sont engagées en politique avant d’avoir le droit de vote. Les inégalités, pensions-nous, n’étaient pas un obstacle: juste un anachronisme. Aujourd’hui, on a le sentiment que plus le temps passe, plus les ambitions égalitaires se ratatinent. Les années ont fripé nos visages comme elles émoussé la volonté politique de rétablir la justice. Mais attention! La manif de septembre n’était qu’un coup de semonce. Le plat de résistance, c’est pour juin 2019: les femmes ont prévu de faire grève, et cette fois, c’est le pays tout entier qui se mettra à l’arrêt.

* Ancienne conseillère nationale.

Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, avril 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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