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La solidarité n’est pas un crime

Une Vaudoise condamnée pour avoir sous-loué un appartement à un requérant d’asile débouté vient d’être acquittée par la justice lausannoise. Sa condamnation initiale, néanmoins inquiétante, témoigne d’une criminalisation de la solidarité envers les migrant-e-s en Suisse et en Europe.
Asile

A l’annonce de son acquittement, Flavie Bettex a relevé le dos. Comme si la jeune femme avait été soudainement libérée des dizaines de kilos de soucis qui pesaient sur ses épaules.

En proposant de sous-louer un appartement à un ami iranien dont la demande d’asile avait été refusée, la Vaudoise n’avait jamais imaginé se mettre dans l’illégalité. «Mon ami est asthmatique et souffre de stress post-traumatique après avoir été torturé en Iran. Il ne peut pas être logé dans les abris de la protection civile, comme en atteste un certificat médical. Comme il n’arrivait pas à trouver un appartement, j’ai proposé d’en louer un à mon nom», a expliqué au juge l’ergothérapeute originaire de Payerne. Flavie Bettex avait été condamnée pour infraction à l’article 116 de la Loi sur les étrangers pour «incitation à l’entrée, à la sortie ou au séjour illégaux». Une décision surprenante, car l’Etablissement vaudois d’aide aux migrants (EVAM) avait été informé de la sous-location et versait l’aide d’urgence au requérant d’asile iranien débouté, nécessaire au paiement de son appartement.

Le juge retiendra que la jeune femme n’a jamais cherché à tirer quelconque avantage en sous-louant son appartement, ni entravé le travail des autorités en essayant, par exemple, de cacher l’Iranien: son nom était inscrit sur la boîte aux lettres et le contrat de bail tamponné par l’EVAM.

Si cet acquittement est un soulagement, la condamnation initiale de la jeune femme est inquiétante. Amnesty International se préoccupe d’une vague qui frappe les personnes qui défendent les droits des migrant-e-s en Europe. En Suisse, plusieurs cas ont récemment été rendus publics. L’an dernier, la députée socialiste au Grand Conseil tessinois Lisa Bosia Mirra a été condamnée pour avoir aidé vingt-quatre personnes à passer la frontière entre l’Italie et le Tessin. En début d’année, une Bâloise a été condamnée pour avoir tenté de passer la frontière avec un requérant d’asile afghan, malade, qui dormait à la gare de Domodossola par moins 10 degrés, alors que sa sœur réside en Suisse. Le 15 août dernier, un pasteur au Locle a été condamné pour avoir offert le gîte et le repas à un Togolais qui séjournait illégalement en Suisse.

A l’instar de Flavie Bettex, ces trois personnes ont fait recours. Mais il semblerait que ces cas ne soient que la pointe de l’iceberg. Combien de personnes condamnées pour leurs actes solidaires paient leur amende et se retrouvent avec une condamnation pénale inscrite au casier judiciaire? Les statistiques de l’OFS montrent que près de 800 personnes ont été condamnées l’an passé en Suisse pour «incitation à l’entrée, au séjour ou à la sortie illégaux». Alors, empathie ou cupidité? Les statistiques des infractions à la Loi sur les étrangers ne permettent pas de distinguer les motifs pour lesquels des citoyen-ne-s suisses ont hébergé ces ­réfugié-e-s.

En 2008, l’entrée en vigueur de la révision de la Loi sur les étrangers a fait disparaître la clause de non-punissabilité pour «motifs honorables» et introduit l’article 116. Faut-il désormais demander les papiers de chaque personne qui passe notre porte pour s’éviter de potentiels ennuis?

Il est choquant que l’article 116 soit aujourd’hui invoqué pour poursuivre des citoyen-ne-s qui défendent les droits des migrant-e-s. Ce procédé décourage la solidarité, alors qu’elle est plus que jamais nécessaire. Les autorités devraient appliquer avec bon sens et proportionnalité la Loi sur les étrangers et s’abstenir de condamner des personnes ou des institutions qui fournissent des biens de première nécessité, comme de la nourriture ou un logement, à des personnes dans le besoin, quel que soit leur statut légal en Suisse, sans en retirer d’avantages matériels. La solidarité doit être encouragée et non punie.

* Journaliste pour la section suisse d’Amnesty International.

Opinions Agora Julie Jeannet Asile

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