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Rouages

L'Impoligraphe

Il y a trente-sept ans, l’égalité des sexes était ancrée dans la Constitution. Il y a vingt-sept ans, le 14 juin 1991, un demi-million de femmes se mettaient en grève dans toute la Suisse pour réclamer le respect de leurs droits. Il y a vingt-deux ans, une loi fédérale sur l’égalité était adoptée. Et il y a trois jours, 20 000 personnes devaient encore manifester à Berne pour que la Constitution et la loi soient respectées: les femmes continuent de toucher en moyenne, pour leur travail rémunéré, 585 francs de moins par mois que les hommes. Et toutes ensemble, c’est de près de 8 milliards de francs par an dont elles sont privées. Et dont sont privées les assurances sociales financées par des ponctions sur les salaires.

Il y a cependant aujourd’hui plus de femmes «actives» professionnellement qu’il n’y en a jamais eu, et plus de femmes bien formées, mais il n’y a jamais eu non plus autant de chômeuses et de travailleuses précaires. Globalement plus instruites et plus diplômées que les hommes à 20 ans, elles sont pourtant toujours sous-représentées dans les instances politiques, sont toujours moins payées que les hommes lorsqu’elles occupent un emploi comparable, et touchent des retraites inférieures à celles des hommes: la maternité et le rôle familial sont passés par là (elles accomplissent la plus grande partie du travail non payé), mais aussi une discrimination ne reposant que sur des préjugés et des traditions.

Samedi, 20 000 personnes l’ont rappelé à Berne: l’égalité salariale n’est pas un cadeau que les femmes réclament, mais un droit constitutionnel – et un mandat donné au gouvernement et au parlement par la Constitution. Or, dans l’ensemble de l’économie, l’écart de salaire entre les femmes et les hommes a atteint 12,0% en 2016 contre 12,5% en 2014. Quarante pour cent de cette différence sont inexpliqués autrement que par une pure discrimination. En outre, 60% des postes de travail à bas salaires (moins de 4500 francs par mois) sont occupés par des femmes (alors que 83% de ceux au salaire supérieur à 16 000 francs mensuels sont occupés par des hommes). Dans le secteur privé, les femmes ont gagné en 2016 14,6% de moins que les hommes alors que dans le secteur public, cette différence globale est de 12,5%…

J’aurais bien aimé être des vôtres, samedi, sur la place Fédérale, à Berne (je dis «des vôtres» parce que forcément, vu le genre de quotidien gauchiste que vous lisez, vous y étiez forcément) pour exiger l’égalité salariale entre femmes et hommes et dénoncer les discriminations dont les femmes sont toujours victimes. J’aurais bien aimé: on m’offrait un train gratuit, on m’annonçait de la musique féministe, on me proposait de la bière de l’égalité. Mais bon, on peut pas toujours faire ce qu’on a envie de faire. Saloperie d’hernie discale… encore un coup de Maudet, sûrement…

Donc, je n’ai pas manifesté. Ou alors, tout seul dans mon coin. En lisant le dernier appel de l’Union syndicale, qui souligne que «le Conseil des Etats n’a accepté que des mesures édulcorées pour l’égalité salariale», des mesures qui n’ont été adoptées par la commission du Conseil national que grâce à la voix prépondérante de sa présidente. Et l’USS de résumer: «Dans la politique suisse de l’égalité des sexes, les rouages sont très grippés.» Erreur, camarades: les rouages ne sont pas grippés. Au contraire, ils font précisément ce qu’attendent d’eux ceux qui les maîtrisent: réduire en confettis les propositions de réformes contenant une garantie des droits sociaux proclamés dans la Constitution et les lois. Parce qu’ils sont là pour ça, les «rouages» de la politique suisse.

Rouages dont l’USS n’est d’ailleurs pas le moindre, ce qui permet de savourer, rictus en coin, la forte phrase du président de la Fédération genevoise des métiers du bâtiment, Serge Hiltpold, dans le dernier bulletin de son organisation patronale, pour qui «les syndicats (…) ont rayé de leur vocabulaire le mot ‘concessions’…» Bah, on vérifiera la pertinence de ce diagnostic lorsque l’USS aura pris position sur la dernière mouture de la réforme de l’imposition des entreprises… Il y a en effet de fortes chances pour que les «rouages de la politique suisse», là, fonctionnent comme on attend qu’ils fonctionnent: pour écraser les projets qui ne complaisent pas aux maîtres (le masculin s’impose) de l’économie.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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