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Saveurs automnales et démocratiques

Saveurs automnales et démocratiques
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Transitions

Les efforts des opposants aux deux initiatives «alimentaires» soumises au vote le 23 septembre ont quelque chose de pathétique. Après avoir énuméré les calamités qu’elles risquent de générer pour les consommateurs (choix réduits, perte de liberté, nourriture «hors de prix»), il arrive qu’ils finissent par bredouiller une conclusion qui ressemble furieusement aux propositions qu’ils tentent de combattre, appelant par exemple de leurs vœux des denrées équitables et de qualité, proposées «par le biais de la réglementation des importations» et par «une stratégie transparente concernant l’origine et les labels». Ils se livrent ainsi à une gymnastique intellectuelle périlleuse, consistant à prétendre à la fois que les deux textes ne proposent «rien de nouveau», puisque l’article constitutionnel sur la sécurité alimentaire massivement accepté par le peuple en septembre 2017 poursuit les mêmes objectifs, et en même temps qu’ils sont de nature à engendrer «un bouleversement radical de l’agriculture suisse». Inutiles mais bouleversants? N’est-ce pas légèrement incohérent?

Il faut dire que la situation s’est singulièrement compliquée depuis que, quelques mois après le vote et faisant fi de la décision populaire, le Conseil fédéral d’abord, par sa «Vue d’ensemble de la politique agricole», puis notre ministre Johann Schneider-Ammann, par ses velléités d’accord commercial avec l’Amérique du Sud, et finalement Avenir Suisse, par son récent pamphlet provocateur, tentent d’orchestrer la mise au pas d’une agriculture rétive au libre-échange et le retour en fanfare de l’industrie agro-alimentaire néolibérale. C’est le prix à payer, disent-ils, pour que notre industrie d’exportation préserve ses marchés et ses profits. On comprend l’embarras du monde paysan.

Accusés une fois de plus d’être «rétrogrades» et de vouloir revenir au monde rural d’autrefois, les écologistes ont de quoi répondre. En effet, la modernité, aujourd’hui, c’est l’agro-écologie, une avant-garde qui se déploie partout sur la planète et qui pousse très loin le développement de techniques propres à préserver les sols, la biodiversité, la conservation et la sélection naturelle des semences, l’usage parcimonieux des ressources. Même la Banque mondiale, qui, au siècle dernier, imposa aux pays en voie de développement une agriculture productiviste intensive pour l’exportation, la mal nommée «révolution verte», reconnaît maintenant que ce modèle conduit au désastre et qu’il a probablement détruit davantage de capacités de production qu’il n’en a développé. Ceux qui souffrent le plus de la faim dans le monde sont les paysans eux-mêmes, c’est dire!

C’est pourquoi ça me fait doucement rigoler quand j’entends les milieux bourgeois jouer les sauveteurs des agriculteurs du Sud en s’indignant qu’on ose leur dicter des normes comparables aux nôtres. Comme s’ils nous avaient attendus pour inventer l’agriculture durable; comme si le commerce équitable labellisé n’avait jamais existé; comme s’ils ne nous avaient envoyé jusqu’ici que des produits indignes de notre très haut standing. D’une certaine manière, les opposants semblent penser qu’il faut laisser venir à nous les mauvais produits des pays pauvres pour que nos pauvres à nous puissent s’alimenter à bon marché. Quel mépris! Et des normes, parlons-en! Celles des distributeurs qui ne veulent mettre à l’étalage que des produits standardisés, formatés, calibrés, sans défaut, quitte à balancer ceux qui n’ont pas assez bonne mine à la poubelle, sont bien plus tracassières que les critères de qualité que nous défendons. Et c’est ce gaspillage qui fait grimper les prix.

En réalité, en matière d’importations, il s’agit moins d’interdire certains produits que de privilégier ceux qui sont équitables et de qualité. Il existe pour cela des moyens compatibles avec les accords internationaux, pour favoriser, par exemple, le café ou le cacao du commerce équitable, ou, dans un domaine voisin, pour n’accorder des privilèges fiscaux qu’aux agrocarburants «fabriqués d’une manière respectueuse de l’environnement et socialement acceptable». Nul besoin pour cela d’un «monstre bureaucratique». Quant au coût des denrées, il faut juste rappeler que s’il a augmenté de 10 à 15% en magasin ces dernières années, le revenu des agriculteurs lui, a diminué de 28%. Le bénéfice, c’est pour les distributeurs. Equitable? Alors oui: il faut accepter ces deux initiatives. Parce qu’on en a marre des scandales à répétition, de la vache folle ou du poulet aux antibiotiques. Marre des produits pollués par la chimie des multinationales ou arrosés de la sueur des quasi esclaves qui les cultivent dans le sud de l’Espagne, de l’Italie ou d’ailleurs.

* Ancienne conseillère nationale. Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, avril 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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