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La notification par voie d’affichage doit rester exceptionnelle

Chronique des droits humains

Le 26 juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit que l’Allemagne avait notamment violé l’article 6 § 1 de la Convention qui garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, ainsi que le § 3 lettre c de cette disposition qui garantit à tout accusé le droit de se défendre lui-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 juillet 2018 dans l’affaire Abdelhamid Dridi c. Allemagne (5e section).

Le 2 mars 2009, le requérant avait été reconnu coupable de coups et blessures et condamné à 40 jours-amendes, à 25 euros le jour-amende, par le Tribunal d’instance de Hambourg. Pour ce procès, il était défendu par un étudiant en droit qui avait obtenu l’autorisation du tribunal. Tant le procureur que l’accusé ont formé appel de ce jugement. Peu après, l’accusé déménagea à Cadix (Espagne), ayant trouvé un nouveau travail comme chef dans un hôtel. Il communiqua sa nouvelle adresse au tribunal. Le 24 avril 2009, le Tribunal régional a rejeté l’autorisation de plaider à son défenseur et sa demande de dispense de comparaître en personne. Cette décision lui a été notifiée en Espagne. Le même jour, le Tribunal régional a fixé au 13 mai 2009 la date de l’audience en appel, mais a décidé de notifier la citation à comparaître par voie d’affichage – en plaçant une annonce sur son panneau d’information – parce que le requérant était parti vivre à l’étranger.

La veille de l’audience, le défenseur du requérant a été informé par le Tribunal régional de ce qu’il était désormais autorisé à l’assister à l’audience d’appel. Absent le jour de l’audience, il en demanda l’ajournement. Le jour de l’audience, le Tribunal régional rejeta la demande d’ajournement et écarta l’appel sans examiner le fond de l’affaire parce que le requérant ne s’était pas présenté à l’audience et ne s’était pas non plus fait représenter. Par la suite, le Tribunal régional rejeta une demande du requérant de rétablissement du statu quo ante, fondée sur le défaut de notification valable, et les recours devant la Cour d’appel puis la Cour constitutionnelle furent tous rejetés.

La Cour réaffirme que le droit à un procès équitable implique que toute personne accusée d’une infraction ait le droit de participer effectivement à la procédure, en particulier de prendre part à l’audience à l’issue de laquelle il sera statué sur les charges pesant sur elle. Même si le droit allemand permettait en l’espèce la notification d’une citation à comparaître par voie d’affichage, la Cour observe que le Tribunal régional connaissait l’adresse du requérant en Espagne et qu’il n’y avait eu aucune tentative de lui délivrer cette notification en Espagne. Dans ces conditions, la citation à comparaître par le biais d’un affichage n’était pas suffisante et les droits du requérant, protégés par l’article 6 CEDH, ont été violés.

En procédure pénale suisse, les articles 84 et suivants du Code de procédure pénale régissent la forme de la notification. L’article 88 alinéa 1er prévoit que la notification a lieu dans la Feuille officielle désignée par le canton ou la Confédération lorsque le lieu de séjour du destinataire est inconnu et n’a pas pu être déterminé en dépit des recherches qui peuvent être raisonnablement exigées, lorsqu’une notification est impossible ou ne serait possible que moyennant des démarches disproportionnées, ou lorsqu’une partie ou son conseil n’a pas désigné un domicile de notification en Suisse, alors qu’ils ont leur domicile, leur résidence habituelle ou leur siège à l’étranger. Enfin, l’article 88 alinéa 4 de la loi prévoit que les ordonnances de classement et les ordonnances pénales sont réputées notifiées même en l’absence d’une publication [ceci en contradiction avec l’art. 88 al. 1er]. Le Tribunal fédéral relève que la fiction prévue par cette dernière disposition est problématique. Il relève qu’elle n’est possible que dans l’hypothèse où les conditions du premier alinéa sont remplies. En outre, pour être conforme à l’article 6 CEDH, l’application de cette fiction n’est envisageable que si le ministère public a entrepris des démarches approfondies pour localiser le prévenu2>Arrêts du Tribunal fédéral du 9 avril 2018 dans la cause 6B_164/2018, du 22 décembre 2017 dans la cause 6B_141/2017, du 1er décembre 2017 dans la cause 6B_162/2017, du 12 janvier 2017 dans la cause 6B_421/2016 et les arrêts cités..

Cette jurisprudence démontre l’importance de la Convention pour la garantie des droits des citoyennes et des citoyens dans l’ensemble des pays appartenant au Conseil de l’Europe.

Notes[+]

* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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