Chroniques

Condamnés à vivre

Transitions

L’été n’est pas propice aux prisonniers. Sous l’implacable canicule, les geôles surchauffées engendrent l’accablement, la déprime et la désespérance. L’air est suffoquant, les visites sont plus rares, et avec les vacances, il est difficile d’obtenir une sortie. C’est comme une petite mort, qui vient parfois instiller chez certains détenus un désir de la grande, la vraie mort. Un Bernois a récemment sollicité l’assistance d’Exit pour en finir dans la dignité, selon la formule consacrée. Un Genevois avait fait la même demande l’année dernière, en vain. Une nouvelle polémique alimente nos quotidiens: les pénitenciers vont-ils ouvrir leur porte aux pourvoyeurs de la potion létale?

En 2015, dans ces colonnes, j’avais déjà raconté l’histoire d’un prisonnier belge qui avait obtenu des autorités, dans un premier temps, le droit d’être euthanasié, selon la loi de ce pays1>Voir Transitions, chroniques, p. 103; ainsi que www. infoprisons.ch, bulletin n° 14. Je le rappelle pour deux raisons: d’abord parce que le désir de mort du condamné s’est évanoui quand on l’a enfin transféré dans une institution thérapeutique spécialisée, ce qu’il réclamait depuis longtemps; ensuite parce que la perspective d’autoriser ce criminel à s’éclipser en douceur avait déclenché un torrent de virulentes protestations. C’est aussi ce qui pourrait se passer chez nous. Qu’il soit assisté ou non, le suicide d’un détenu révolte les victimes d’infractions, dépossédées de l’objet de leur ressentiment, de même que les justiciers de tout acabit qui martèlent que les criminels n’ont rien d’autre à faire que d’expier leurs actes jusqu’au bout. La prison les désespère? Tant mieux! La souffrance est partie intégrante du châtiment. En fait, les zélateurs de la sécurité à tout prix auraient tout aussi bien pu se réjouir que la mort par suicide les débarrasse de prédateurs potentiellement récidivistes. Mais non! Ils semblent réclamer un châtiment plus sévère encore que la peine de mort: l’interdiction de mourir, la peine de vie en quelque sorte. Comme si seule la souffrance éternelle de Sisyphe roulant sa pierre pouvait apaiser la colère des dieux et la douleur des victimes.

En Suisse, les éventuels candidats à la mort assistée semblent être des détenus âgés et malades. Le Bernois dont Exit suisse alémanique examine la demande explique que sa vie a perdu toute valeur et qu’elle est devenue en permanence insupportable. A 64 ans, atteint d’une maladie pulmonaire en plus d’un trouble psychique jugé incurable, il estime que l’absence de toute perspective d’amélioration de son régime carcéral représente une forme de torture. Il a purgé sa peine et expié son crime. S’il est encore enfermé, c’est qu’il est sous le coup d’une mesure d’internement dont il risque de ne jamais voir l’issue.

Pour les autorités cependant, les suicides en prison constituent un véritable cauchemar. Peut-être même pire qu’une évasion: une défection définitive, une amnistie, un pied de nez au juge qui a prononcé la sentence. Mettre le feu à sa cellule et mourir dans la fumée, s’engager dans une grève de la faim jusqu’à la dernière extrémité, s’automutiler ou se pendre, sont des comportements interdits et punissables. On les empêchera par tous les moyens: caméras de surveillance, alimentation forcée, cellules sécurisées. La fonction de l’institution est de garder ses proies vivantes. Ou, plus élégamment dit, d’assumer vis-à-vis d’elles un rôle protecteur. «On n’aime pas que les détenus meurent en prison», constatait Jean-Pierre Restellini, ancien président de la Commission nationale pour la prévention de la torture. «C’est pourquoi on transfère les mourants à la dernière minute dans un hôpital bondé où ils sont alors relégués dans un quelconque corridor.» Dans ces conditions, il y a peu de chances qu’Exit soit la bienvenue dans les pénitenciers. Ce serait pourtant conforme à sa mission si on s’obstine à laisser croupir en prison des détenus malades, invalides, atteints de démence sénile ou désespérés.

D’une autre côté, accourir au chevet d’un candidat au suicide simplement parce qu’il s’estime soumis à des conditions de détention indignes serait insoutenable. Il y a dans nos prisons des condamnés qui ont si bien intériorisé le pronostic négatif des experts psychiatres et le verdict implacable des juges qu’ils se considèrent comme perdus pour eux-mêmes et pour la société. Alors que la prise de conscience de leurs actes est la première condition de leur libération, ils en font au contraire la cause de leur suicide, comme s’ils avaient démissionné d’eux-mêmes. Accepter qu’Exit joue le rôle de libérateur ou d’exécuteur serait signer la faillite du système carcéral. Protéger la vie, d’accord, mais pour reconstruire chez les détenus la capacité de vivre libre.

Notes[+]

*Ancienne conseillère nationale.

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lundi 8 janvier 2018

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