Édito

Projet de loi avorté: la lutte continue

Brouillon auto 58
Manifestation pour l'avortement légal en Argentine. Keystone/ AP Photo/Marco Ugarte
Argentine

La déception a été immense pour les centaines de milliers de personnes parées de vert réunies devant le Congrès argentin pour soutenir le projet de loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse traité au Sénat. Son rejet par 38 votes contre 31 était pourtant annoncé. Il n’y a pas eu de basculement comme chez les députés à la mi-juin, quand, contre toute attente, le oui l’avait emporté par 129 voix contre 125. Un demi-million d’Argentines continueront d’avorter dans la clandestinité chaque année, mettant leur vie en péril et risquant la prison.

Le gouvernement a annoncé hier qu’il prévoyait de retirer les peines d’incarcération lors de sa prochaine réforme du code pénal. C’est mieux que rien. Mais ça ne résout pas la question de fond: les dangers en matière de santé qu’entraîne l’illégalité des interruptions de grossesse.
La colère a cependant été rapidement remplacée, pour beaucoup, par l’optimisme et la fierté de la lutte menée. Car d’immenses avancées sont à saluer. L’impressionnante mobilisation des mouvements féministes, souvent composés de très jeunes militantes, a brisé un tabou. Et imposé sur la scène politique et médiatique une thématique jusque là absente du débat public argentin: le droit des femmes à disposer de leur propre corps. Au point que la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ne soit pas passée à quatre voix près. Ce qui paraissait inimaginable il y a encore quelques mois, notamment à cause du poids de la religion.

Si le gouvernement de Mauricio Macri a autorisé le traitement de ce projet de loi, c’est parce qu’il était profondément convaincu qu’il serait balayé. Mais la mobilisation, les débats publics et médiatiques suscités, ainsi que leur écho international, ont renversé de nombreuses convictions. Ils ont d’abord permis de réaliser l’ampleur du drame. En Argentine, elles sont 500 000 à avorter clandestinement chaque année. L’absence d’éducation sexuelle et de protection des femmes, et particulièrement des plus pauvres, a aussi été mise sur le devant de la scène. Le débat a également démontré l’influence de la religion catholique sur les politiques sanitaires et éducatives. A tel point qu’un nouveau mouvement politique s’est formé, exigeant une véritable séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Si la politique économique du gouvernement argentin fait régresser le pays, la mobilisation sur les questions sociétales ne cesse, elle, d’avancer. Et personne ne doute aujourd’hui que le vote du Sénat ne clôt pas le débat sur l’interruption de grossesse. Comme le soulignait la journaliste Mariana Carbajal dans un éditorial de Pagina 12 intitulé «On a gagné»: la légalisation de l’avortement «ne s’est pas faite hier, mais elle se fera demain».

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