Chroniques

Macron, le savant et le politique

L'Impoligraphe

Vous savez quoi? Samedi, on est le 14 juillet. Défilé militaire, pince-fesses à l’Elysée, bals populaires (ça existe encore?), feux d’artifice. Et Macron. Son deuxième 14 juillet. Il en a encore trois de prévu. Au moins. Samedi, on sera dans le petit village provençal où on s’est replié pour quelque temps. Le maire fera un discours, on sortira Marianne de la mairie pour la présenter au respect d’une toute petite foule, on chantera La Marseillaise (ou on fera semblant), on noiera nos petits soucis dans le pastis et le frais rosé. Et on parlera de Macron. Parce qu’on ne peut pas ne pas parler de Macron, ça lui ferait de la peine, à Macron.

Parlons donc de Macron: on ne fera alors que faire comme tout le monde. Et si le discours et la posture de Macron et ses partisans sont omniprésents, ce n’est ni l’effet d’un complot ni l’effet d’une complaisance particulière des médias: c’est l’effet de l’absence de discours et de posture qui constituerait une opposition, une contradiction crédibles. «Le débat d’idées s’est refermé à droite comme à gauche» d’un champ politique en reconstruction, observait Le Monde début février. Résultat: la systématique du «en même temps», qui emprunte à gauche et à droite, ne laisse plus à Macron de contradicteurs que des intellectuels indépendants des organisations politiques, quand ils n’y sont pas rétifs par principe autant que par confort.

Le «en même temps» macronien ne refuse pas la contradiction, puisqu’il l’entretient, mais il l’épuise en tant qu’opposition, en campant dans l’espace que Max Weber définissait comme celui du politique – par distinction de celui du savant (disons de l’intellectuel) –, l’espace de la responsabilité, par distinction de celui de la conviction. L’usage de cette distinction confine cependant, aujourd’hui, en France, à la caricature: il permet au «politique» de se poser face au «savant» comme celui qui campe dans le réel et ose se salir les mains, face à celui qui donne des leçons sans «se mouiller». Vieille posture que celle-là: moi, je suis dans le vrai, le réel, le possible – bref, le responsable –, et vous vous êtes dans l’illusion, le rêve, l’impossible  – l’irresponsable, donc.

Face à cette autojustification macronienne, que répond la gauche française, par quoi, qui soit intelligible et capable de susciter une véritable mobilisation? «Nous pouvons être fiers de ce que nous avons entrepris, et réalisé», avait proclamé Mélenchon au soir du premier tour. Et il avait parfaitement raison – mais Macron aussi, disant la même chose, en d’autres mots, avec le même objectif, et plus de succès. Macron et Mélenchon avaient d’ailleurs un objectif commun: remplacer le Parti socialiste – en se le partageant entre la «République en Marche» et la «France Insoumise». Mais au sein même du PS, le glas avait déjà été sonné par Manuel Valls («Le PS va mourir») et Benoît Hamon («Le PS ne peut plus continuer comme aujourd’hui»).

Promettant plus et mieux, puisque promettant autre chose, les socialistes doivent faire plus, mieux, autre chose et le faire autrement; on leur pardonnera moins de ne pas faire ce qu’ils promettent qu’à ceux qui n’ont rien promis, et dont on n’attend rien. On avait donc raison de ne rien pardonner au PS français. Aujourd’hui, les partis socialistes ont ce choix: se rendre coupables soit d’irrespect des règles du jeu social et politique, soit de manquement au contrat qu’ils ont passé avec ceux qui les ont élus pour changer ces règles – ceux en sommes qui les ont pris pour des socialistes. Les socialistes seront jugés soit par les maîtres du jeu, leurs adversaires, soit par les perdants du jeu, ceux au nom de qui ils affirment se battre, soit par les dupes du jeu, leurs propres militants.

Le pragmatisme (mais celui de Macron n’en est que l’une des formes) et l’utopie s’opposent? Sans doute, mais ils ne devraient s’opposer que comme les deux termes d’une contradiction dialectique. Et s’ils s’opposent, ils peuvent aussi s’additionner. Le pragmatisme sans l’utopie, ce n’est très vite que du cynisme. Et l’utopie sans le pragmatisme, ce n’est très longtemps que de la branlette.

Macron gouverne, et sans doute ne gouverne-t-on pas avec du rêve; mais sans rêve, on ne gouverne pas non plus, on gère. Or pour gérer, on n’a besoin ni de gouvernants ni de démocratie. Juste de gestionnaires. Et à quoi peut bien ressembler un rêve de gestionnaire? A quel cauchemar, à quelle insomnie ou à quel somnambulisme?
Bon 14 juillet, les gens…

Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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