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Vacances, safaris, visas, etc.

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EST-CE BIEN RAISONNABLE?

A la frontière entre la Zambie et le Botswana, de longues files de véhicules attendent que les chauffeurs aient rempli les formalités pour poursuivre leur voyage. D’un côté, les camions, souvent impressionnants, qui transportent du cuivre, entre autres matières premières, des mines de la Zambie, de la province du Katanga en République démocratique du Congo, jusqu’aux ports d’Afrique du Sud, puis, direction la Chine. De l’autre, des jeeps et des petits bus emmènent des touristes, en route pour des safaris dans les grands parcs animaliers de la région, réputés pour leurs éléphants, hippopotames, girafes et autres crocodiles.

C’est totalement fascinant: deux mondes qui n’ont rien de commun se côtoient à la frontière, l’espace de quelques instants, reflétant en un clin d’œil les deux points forts des économies de cette région d’Afrique australe: d’un côté, l’exploitation des matières premières; de l’autre, l’industrie touristique du safari, en plein boom. Dans les deux cas, il s’agit pour ces économies complètement tournées vers l’extérieur de satisfaire aux besoins des Occidentaux et de la Chine, qu’il s’agisse de faire tourner leurs usines ou de proposer à leurs touristes l’Afrique peuplée d’animaux sauvages dont ils rêvent.

Rien n’est trop beau pour ces touristes étrangers. Les endroits les plus magnifiques du pays sont occupés par des lodges, des hôtels de rêve, des complexes sportifs où les adeptes de sports extrêmes peuvent s’en donner à cœur joie, partir en croisière au coucher du soleil (sunset cruise), ou encore participer à des binge drinking parties et «se mettre une mine» (se saouler) en admirant des éléphants. On y cherchera en vain des gens du pays, hormis les employés des grands groupes touristiques internationaux embauchés pour des salaires de misère.

C’est en se rendant sur le continent africain qu’on se rend compte à quel point, depuis des décennies, les économies de ces pays, aimablement accompagnées par les institutions financières internationales, sont complètement tournées non pas vers la satisfaction des besoins de leurs habitants, mais vers celles des Européens, des Nord-Américains, des Chinois. Tout se passe comme si l’essentiel des activités économiques étaient aspirées vers «ailleurs»: les trains, les routes, les bateaux sont mis à contribution pour transporter «ailleurs» le cuivre, la bauxite, l’or, le pétrole, l’uranium, le café, le cacao, l’hévéa, les bananes, les crevettes. Et pour véhiculer les touristes venus «d’ailleurs» sur les sites de cette Afrique «sauvage», où des troupeaux de zèbres et d’antilopes se promènent paisiblement.

Que cela pose des problèmes à la population locale – déplacée, privée de la terre de ses ancêtres – qui n’en retire que des emplois mal payés dans les mines, les plantations, les hôtels ou pour accompagner de safaris… cela ne nous concerne guère. Nous restons dans notre bon droit: travailler dur toute l’année, bénéficier en retour d’une consommation de rêve, sans retenue; et, pour nous détendre, le monde entier est à notre portée. Des problèmes de visa? Pas pour les Occidentaux ni pour les Chinois, qui déferlent sur l’Europe et le monde.

Pendant ce temps, la majorité de la population de nombreux pays est assignée à résidence, à vie. Essayez de demander un visa pour passer des vacances et découvrir l’Europe, si vous vivez à Lomé, Dakar ou Nairobi. Des tracasseries sans fin vous attendent, avec, la plupart du temps, une fin de non-recevoir et des vexations à la chaîne. Quoi de plus «normal» pourtant que l’envie de découvrir de nouveaux horizons durant ses vacances? Et si, au moment de monter dans notre avion pour partir «ailleurs» – un droit absolu, allant de soi –, pourquoi ne pas avoir une petite pensée pour les millions de personnes pour lesquelles voyager «normalement» est juste impossible, interdit, ou alors au prix de mille galères et autant de souffrances? Bel été.

* Journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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