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Quand l’égalité devient un jeu de dupes…

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Nous ne savons pas si c’est un effet de mode, mais récemment, sur des sujets les plus divers, on observe une dangereuse inversion de l’argumentation. Cette semaine, c’est Ignazio Cassis qui a considéré que l’aide de l’Agence onusienne pour les réfugié-e-s palestinien-ne-s (UNRWA) constituait un obstacle à l’avancée de la paix au Proche-Orient. Il y a quelques semaines, c’était Alain Salamin, chargé de cours à HEC Lausanne et à l’International Institute for Management Development (IMD), qui, dans les colonnes du Temps, épinglait l’assurance maternité, estimant que c’était un frein à l’égalité, un risque de discrimination à l’embauche.

Allons messieurs, en ces temps difficiles, que ce soit en politique internationale avec la situation dramatique au Proche-Orient, ou en matière de discriminations de sexe avec la vague #MeToo qui refuse de retomber, avez-vous donc à ce point besoin de vous distinguer, pour utiliser n’importe quel argument, même inédit, même à contre-pied?

Revenons sur la question de l’assurance maternité et rappelons qu’il a fallu près de 60 ans pour l’obtenir. Est-elle incroyablement généreuse? Non. A l’époque, dans les années 1990, on exigeait 16 semaines rémunérées à 100%, mais nous avons dû nous satisfaire d’un congé de 14 semaines (à part à Genève) payé à 80%. En comparaison internationale (Suède, Norvège, Italie), la Suisse est donc loin derrière sur la durée et le taux d’indemnisation… L’assurance maternité n’a que 13 ans, elle est à peine adolescente, faut-il déjà trouver des arguments aussi fallacieux pour la démanteler?

L’argument de M. Salamin est simple: l’existence d’une assurance maternité rappellerait à l’employeur, lors de l’embauche, que les femmes font parfois des enfants et qu’elles pourraient donc être absentes pour cette raison. Cette pique de rappel participerait à réduire les chances des femmes d’être embauchées…. Est-ce à dire que la discrimination à l’embauche n’existait pas avant l’assurance maternité? Et que l’on ne demandait jamais aux femmes si elles avaient l’intention d’avoir des enfants? Bizarre, nous n’avons aucun souvenir de cette époque de rêve…

C’est tout de même surprenant de voir comment chaque avancée est détournée, subvertie et finit par se retourner contre celles, parfois ceux, à qui elle était destinée. De notre côté, on aurait bien une hypothèse. Ne serait-ce pas la démonstration de la permanence et de la force du patriarcat, dont les modalités se réinventent à chaque pas en avant?

Si l’on suit cette logique du retournement des arguments, peut-être faudrait-il expliquer aux Irlandaises que si, le week-end prochain, le vote leur permettait enfin d’avoir le droit de poursuivre ou non une grossesse, elles diminueraient leur chance de trouver un compagnon. En effet, l’existence du droit à l’avortement signifierait que, dès le premier rendez-vous, les prétendants se rappelleraient qu’en face d’eux, la femme à qui ils offrent un verre peut faire ses propres choix, est libre et autonome. Autant rester célibataire!

Même logique pour l’égalité salariale. Là aussi, on pourrait argumenter qu’elle comporte un risque de discrimination à l’embauche. En effet, s’il n’y a plus d’intérêt économique à engager des femmes, autant ne pas le faire… Mais on n’a même pas besoin d’aller jusque là, puisque nos législateurs veillent au grain, et proposent de limiter cette avancée à quelques entreprises et sa durée à 12 ans… En fait, à ce jeu de dupes, on est perdantes à chaque coup: soit rien ne bouge, soit lorsqu’une avancée est obtenue, d’aucuns retournent l’argument. En fait, soit on ne gagne pas, soit on perd!

* Investigatrices en études genre.

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